Une nouvelle histoire pour demain

« Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »

proverbe africain

Demain couvertureL’écologie, le développement durable, on nous en parle depuis qu’on est enfant. Les médias, les professeurs, les instituteurs et quelques proches l’évoquent. On connaît, ou du moins on pense connaître, l’état désastreux de notre planète, on sait ce qui est à proscrire, on sait ce qui est néfaste pour l’environnement. Oui on sait. On sait, et pour autant le quotidien nous emporte et reprend finalement le dessus. Le livre Demain, écrit par Cyril Dion (d’après le documentaire du même nom co-réalisé par Mélanie Laurent, sorti en salles en décembre 2015) tente de remettre en question cette image évidente et biaisée du quotidien. Demain n’a pas choisi de se morfondre dans l’accusation, mais s’évertue à proposer une autre vision du monde, des alternatives. Il met en lumière des modes de vie, des quotidiens qui se veulent un peu différents. Il tend à montrer que le changement existe, qu’il est possible, et bien plus que possible, qu’il est enviable. Que notre quotidien n’est finalement qu’une fiction qu’on décide de perpétuer. Il souligne ingénieusement que rien est immuable et que le point de bascule est fragile. Le quotidien de Cyril Dion s’est vu bouleversé en 2012, lorsque le journal Le Monde a publié une étude qui proclamait que la fin de la planète pourrait avoir lieu d’ici 2100. Sont pointés du doigt la pollution, le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la déforestation… Alors que faire ? Que faire si les mobilisations qui émergent depuis la timide prise de conscience écologique des années 1960 ne changent rien ? 85 ans, c’est si court. Une génération. Nos enfants.

Demain est parti à la recherche de ces gens à travers le monde qui ont décidé d’écrire une autre histoire, qui ont eu le courage de s’émanciper du système pour créer une société à leur image. Le livre, tout autant que le documentaire, nous emporte dans cette nouvelle « fiction collective », cette nouvelle histoire à travers le récit de citoyens, d’hommes et de femmes qui nous ressemblent. Demain transforme un sentiment d’impuissance en un puissant souffle d’espoir.

Rob Hopkins et son billet de 21 Totnes Pound

Rob Hopkins et son billet de 21 Totnes Pounds

Demain est un projet novateur parce qu’il s’interroge en profondeur sur les moyens de parvenir à un changement durable. Il s’interroge sur les racines, sur ce qui nous a conduit à adopter et pérenniser un modèle contre nature. Qu’est ce qui fait que nous sommes enfermés dans une sorte de vision hermétique de notre monde et de notre société, qui nous empêche d’accéder à un mode de vie qui serait en adéquation avec notre environnement, avec les autres, avec nous-même? Cyril Dion affirme que nous sommes le victimes d’une « croissante virtualisation du réel », si bien que nous sommes devenus incapables de « mettre en relation nos actes et les conséquences que nous ne voyons pas, que nous ne sentons pas. » Les conséquences sont des chiffres ou quelques images qui se présentent à nous de manière abstraite et disparate. Qui remettrait en question son mode de vie pour une idée qu’il appréhende difficilement, qui ne lui offre aucune certitude, aucune sécurité ? C’est bien la vision que nous avons de notre quotidien qui empêche toute idée de changement, cette sorte d’image qui modélise les conditions d’organisation de nos vies et qui lui donne un sens. Le problème étant que l’on nous livre qu’une seule illustration. Si le discours environnemental est assené depuis que l’on est enfant, celui-ci paraît bien maigre comparativement au mythe du progrès et de la spirale consumériste qui dicte notre quotidien. Ce sont deux récits qui s’opposent frontalement, et à défaut de savoir ce que l’on peut gagner grâce à l’écologie, on imagine ce qu’on aurait à perdre en s’engageant dans une voie plus soutenable. Comme le souligne Rob Hopkins, l’initiateur du Totnes Pounds, la monnaie locale de la ville de Totnes en Angleterre, les gens imaginent qu’aller vers l’écologie, renoncer au progrès tel qu’on l’entend aujourd’hui, c’est à long terme vivre reclus au fond d’une grotte. Le projet de Demain consiste à retourner ces a priori, et à il s’évertue jeter les bases d’un nouveau récit où le citoyen tient la plume. Tout au long des pages, le lecteur découvre ces hommes, ces femmes, qui par des actions éparses bâtissent ensemble une nouvelle histoire. Assis dans un fauteuil ou dans les sièges d’une salle de cinéma, on se laisse aisément emporté. C’est là tout le charme des histoires bien racontées.

Cependant, si Demain raconte des histoires, il s’évertue surtout à mettre des images sur le réel, sur ces solutions soutenables qui fleurissent partout dans le monde. Le livre retrace les entretiens menés avec les acteurs du monde de demain, comme Pam et Mary à Todmorden dans le Yorkshire, qui se sont lancées malgré leurs doutes et leurs incertitudes dans l’aventure des Incroyables Comestibles, mouvement aujourd’hui international qui vise à développer la culture de fruits et de légumes au sein des villes. Une culture par et pour les habitants, de manière totalement gratuite. Pam Warhust affirme : « C’est ce qu’on fait de mieux, raconter des histoires. C’est ce qui parle au cœur, c’est ce qui fait la différence ».

Démocratie participative en Inde

Démocratie participative en Inde

Il y a également Charles et Perrine au Bec-Hellouin en Normandie qui se consacrent à la permaculture qui leur offre aujourd’hui des rendements à surface égale bien supérieurs à la moyenne de la monoculture des grandes exploitations. Il y a Pocheco, l’usine d’enveloppes au Nord de la France qui place le respect de l’environnement et de l’homme au centre de ses préoccupations. Il y a Rob qui s’est engagé à Totnes pour créer une monnaie locale. Il y a ces citoyens islandais qui en 2009 ont osé renverser le gouvernement et la finance de leur pays et qui se sont battus pour participer à la rédaction d’une nouvelle Constitution participative. Il y a Elango, maire de Kuttambakkam en Inde qui a révolutionné la vie de son village en instaurant un véritable système de démocratie représentative sous le couvert d’une coopération entre les castes. Il y a ces îles renouvelables comme l’Islande et la Réunion qui s’orientent vers une transition énergétique, Copenhague, première capitale neutre en émission de dioxyde de carbone, San Francisco qui s’évertue à donner une seconde vie aux déchets de la ville. Des citoyens, des directeurs d’entreprise, des maires, des États-Unis jusqu’en Inde, en ville et en campagne. Il y a des sourires, des rires, des partages, et cette formidable envie d’agir.

Shane Bernardo, un des piliers d’Erthworks Urban Farm qui vise à produire de la nourriture dans la ville de Detroit pour les plus démunis pense « qu’il nous faut être créatifs pour construire le monde dans lequel nous voulons vivre ». Demain nous offre cette incroyable source d’énergie créatrice. Il nous présente toutes ces actions, tous ces mouvements qui s’épanouissent aux quatre coins du monde, et nous met face à face avec nous même. Il n’y a plus de on sait, mais on a conscience de. Demain nous fait prendre conscience que notre quotidien n’est peut être pas le plus enviable. Il nous montre que s’engager dans une voie plus respectueuse de l’environnement n’est pas synonyme d’austérité, de régression, non. Car ce n’est pas uniquement pour le respect de la nature que ces militants s’engagent, mais aussi pour le respect de l’homme, pour la paix, la solidarité, la coopération, l’échange et le partage, et il semble que ces valeurs découlent naturellement de leurs actions. Demain nous emmène le temps de quelques pages, de quelques heures, en dehors de notre quotidien, un quotidien qui finit presque par devenir un peu étranger. Comme si notre nature nous rappelait à l’ordre. Tant le livre que le film sensibilise le public et donne à chacun les outils pour s’exprimer, pour s’engager, pour changer les choses en nous incluant dans cette grande communauté organique qui déborde de créativité et de richesse. Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin (proverbe africain).

Depuis que le mouvement est lancé, des initiatives fleurissent dans la France entière. Demain utilise des histoires pour en raconter une, il s’adresse directement au pouvoir créatif de l’homme dans l’intention de reconstruire les bases d’un monde plus respectueux de la planète et des hommes. Il laisse dans son sillage de nombreuses réflexions sur ce que nous faisons de notre imagination, de nos rêves, de nos vies. Il nous fait prendre conscience que dans un sens où dans l’autre, tout est une question de temps, qu’un récit sans créativité n’a jamais fait une belle histoire, qu’il est encore tant de laisser libre cours à notre imagination avant que l’intrigue ne muselle irrévocablement et tristement nos prétentions.

Pauline Fricot