Jade Tigana, « L’autre, ce voyageur »

Jade Tigana, gagnante de la deuxième Veillée Poétique de la saison

Jeudi dernier à eu lieu la deuxième Veillée Poétique de la session 2016-2017 qui a regroupé une quarantaine d’amateurs de poésie dans une ambiance sympathique et enjouée. C’est dans cet enivrement d’émotions, de jolis mots et de cookies qu’un poème préféré a été choisi : L’autre, ce voyageur de Jade Tigana. Ce fut alors une double victoire pour la jeune étudiante qui diffusait ses poèmes pour la première fois dans un événement public, puisqu’elle a également remporté la mention « coup de cœur » des organisateurs de l’événement, plus tôt dans la semaine.

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L’approche Littéraire de Jade

Jade Tigana, étudiante en Lettres Modernes, est passionnée de littérature depuis toujours. Bien qu’elle se soit longtemps intéressée au théâtre, qu’elle pratiquait avant son arrivée à Lyon, la plume poétique est ce qui a toujours le plus exalté l’intérêt de la jeune femme, l’ayant expérimentée très jeune :  « J’ai commencé à écrire quand j’avais dix ans, c’était une sorte d’échappatoire, un moyen de me sentir mieux quand j’étais triste, aujourd’hui c’est une passion ». À cette époque elle écrivait des vers, puis peu à peu son écriture a évolué vers la prose, qui compose la majorité de ses poèmes aujourd’hui, pour aller vers un format de nouvelles si son projet aboutit.

L’autre, ce voyageur

Je ne t’aurai jamais dévoilé les petites imperfections de mon être. Ces petites tâches sur mon chemisier, ce lacet déchiré sur ma chaussure, ce nœud papillon mal ajusté, cette cicatrice blanche sur mon épaule, toutes ces marques du passé, ou bien ces disharmonies du présent, je les aurai fardé, raccommodé, jusqu’au dernier pour ne pas ternir l’image que tu avais de moi. J’aurai porté ce masque, jour et nuit, jusqu’à ce que l’obscurité se fasse assez profonde, jusqu’à ce que le sommeil t’emporte, pour daigner le mettre de côté, là, sur la table de nuit, toujours à portée de main.

J’aimais à être ta poupée de cire, cette beauté figée, cette contenance à toute épreuve, qu’une brise de vent n’aurait guère ébranlée. Une âme délicate enveloppée dans un corps de soie, souviens toi de mon rouge à lèvre, jamais trop rosé, et toujours assez sucré. Celui-ci ne t’aurait jamais tâché, et mon parfum, de loin âpre, te berçait jusqu’au petit matin. J’avais le goût de l’harmonie, une musicienne ayant si bien accordé ses cordes..

J’étais ce mannequin d’osier, cette effigie de verre, qui s’efforçait jour après jour, de briller à tes yeux, d’exceller aux yeux du monde, et pour ce, j’aurai arboré mon corps, de toutes les parures de l’univers.

Quelques années après, la vie m’ayant donné une leçon, m’apprit à me mettre à nu et à dévoiler mes artifices. Mes cicatrices sont désormais à vif, quoique moins voyantes, et j’aime à être débraillée, à afficher une simplicité, à mal raccommoder ma cravate, à laisser tomber mon béret sur mon front. Cela me rend plus vrai, cela me procure des sursauts de vie, une vie au cours de laquelle nous sommes quelquefois maladroits, mais de ces maladresses qui nous attendrissent, «  tiens, il te reste du dentifrice au coin des lèvres », quoi de plus humain, que de laisser des traces de nous, des traces du monde, sur le petit bout de son nez, au recoin de son être.

Quelquefois cependant, cette poupée d’autrefois, me revient en tête, avec tous ses charmes, avec toute cette pureté, avec cette perfection maladive qu’elle exhibait. Si je ne suis plus celle-ci, je suis encore son souvenir, et quand j’y pense, ce ne sont pas de ces douleurs qui oppressent l’âme, ce sont de ces douleurs qui nous font respirer un peu plus vite, penser un peu plus fort, écouter cette musique un peu plus longtemps, et se sentir un peu plus vivant. Il est des personnes dans nos vies, qui sont comme ces passagers dans le train. Ils montent dans ce wagon, brûlant d’impatience, dévorant le paysage qui défile sous leurs yeux. Plusieurs arrêts passent, les regards se croisent, les vies s’entremêlent. Puis, le trajet, plus ou moins long, prend fin. Les voyageurs descendent du train, quelquefois fatigués de la traversée, d’autres fois soulagés.

Ce train, c’est notre histoire, à toi, à moi, à vous. Ces voyageurs, ce sont ceux qui ont plus que glissés dans nos vies, ils s’y sont accrochés avec ferveur, et tellement vite, qu’ils ont oublié une partie de leur bagage. Ces bagages, ce sont la charge de souvenirs qu’ils nous ont laissé, cette puissance émotionnelle qui, des mois comme des années après, nous inonde encore de son parfum suave, de ses baisers, échangés au recoin de la gare, voie A, au détour d’un couloir, derrière cette porte, à la sortie du cinéma, sous le lampadaire rue de l’Argenterie, furtivement, sous ces draps de miel, et désormais, au travers ce rêve, derrière ce passé, et pourtant, sur le chemin du présent.
Vous êtes ces voyageurs d’autrefois et qui, cependant, nous traversent encore.

Jade Tigana

 L’approche poétique

Jade Tigana

Le poème L’autre, ce voyageur est la comparaison de deux relations que le narrateur a eu. L’une où il n’est pas lui-même, inexistant : une parfaite « poupée de cire » et l’autre où le narrateur laisse ses défauts s’épanouir, ce qui le « rend plus vrai » et anime sa vraie personne.

Ce poème magnifique porte sur l’amour comme beaucoup d’autres poèmes de la jeune écrivaine. Celle-ci explique que l’amour est une source inépuisable d’inspiration mais qu’elle aime aussi s’inspirer des thèmes du quotidien, du non-exceptionnel (« tout est éligible dans l’art ») mais surtout dans ses expériences personnelles bien qu’elle avoue avoir peur que les gens dont elle parle dans ses écrits se reconnaissent. Ceci n’empêche pas le lecteur de s’identifier au poème : la question de l’amour touche tout le monde, ses poèmes ont « un rapport à la fois personnel et universel, on parle de soi mais aussi de l’autre ». Le but est que chacun se reconnaisse, s’identifie dans ses poèmes et ne se sente pas isolé dans ses sentiments.

En savoir un peu plus sur Jade

En plus d’être étudiante, Jade fait partie d’une équipe de foot à Lyon, est modèle photo et fait du baby-sitting. C’est le soir, suivant son rituel d’écriture, que la poétesse travaille, isolée dans une pièce au calme pour les premiers jets de sa prose, qu’elle reprend le lendemain pour peaufiner ses petites œuvres. Son ambition est de devenir éditrice et de publier un recueil afin de continuer à partager sa poésie.

En attendant , ses poèmes sont accessibles sur sa page We<3Words : http://welovewords.com/jade-tigana.

Crédit photo : Émmanuelle FRÉGET : www.emmafreget.com

Noémie Bounsavath