The Mortal Instruments

« Tu dois savoir une chose. Toutes ces histoires sont vraies. Tout ce que tu as entendu dire en matière de monstres, de cauchemars et de légendes murmurées autour d’un feu de camps. Tout est réel. Réel et terrifiant. » (Extrait du premier tome)

la-cite-des-tenebres,-tome-1---la-coupe-mortelle-4412172-250-400En mars 2007 la romancière Cassandra Clare fait paraître le premier opus de la saga The Mortal Instrument, le premier livre d’une trilogie passionnante faisant partie de la franchise Les Chroniques des chasseurs d’ombres qui contient, en plus de cette saga, quatre autres séries toutes dédiées à l’univers sombre et inquiétant des chasseurs d’ombres.

Cette première série originellement intitulée La cité des ténèbres nous plonge dans le quotidien des chasseurs d’ombres, des guerriers mi- ange mi- humains créés grâce au sang de l’ange Raziel qu’il versa dans la coupe mortelle. Assez puissants pour rétablir l’équilibre des forces, ils protègent à jamais l’humanité dans la guerre contre le mal. Une guerre éternelle à laquelle il est impossible d’échapper. Mais une jeune adolescente de New York, Clarissa « Clary » Fray se retrouve propulsée malgré elle dans cette guerre opposant les chasseurs d’ombres aux démons et autres créatures obscurs, à la suite de l’enlèvement de sa mère. Dès lors, les événements s’enchaîne, les combats n’en finissent pas et les découvertes sur son passé et celui de sa mère seront de plus en plus surprenantes. Accompagnée de trois chasseurs d’ombres bien entraînés – Jace, Alec et Isabelle ainsi que de son meilleur ami Simon – la jeune fille va s’aventurer de plus en plus loin dans ce monde désormais le sien, devenant elle aussi un chasseur d’ombres.

L’univers de cette série s’inscrit dans le monde réel, principalement aux États-Unis où des créatures comme les vampires, les loups garous ou encore les sorciers cohabitent avec les humains sans que ces derniers en aient conscience. The Mortal Instrument a connu un très grand succès dans le monde entier. Cassandra Clare a d’ailleurs reçu le Goodreads Choice Awards du meilleur livre de fantasy et de science-fiction pour jeunes adultes. Cette série qui contient six tomes sortis entre 2007 et 2014, nous amène toujours plus loin dans un monde sombre au côté de personnages auxquelles on s’attache très vite, chaque protagoniste voit sa propre histoire révéler petit à petit au fil des tomes.

87516037_o

Une adaptation cinématographique qui a déçu plus d’un fan

En 2013, la série a été pour la toute première fois adaptée en film sous le titre The Mortal Instrument : la cité des ténèbres, réaliser par Harald Zwart (Karaté Kid) et ayant pour acteurs principaux Lily Collins et Jamie Campbell Bower. Le film semblait prometteur. Il était l’adaptation du tout premier tome de la série et racontait donc le début de Clary chez les chasseurs d’ombres. Mais, malgré le fait qu’il ait été récompensé du prix Écrans canadien 2014 dans les catégories Meilleur effets visuels, Meilleurs maquillages, Meilleur son d’ensemble et Meilleur montage sonore, le film fut un échec total. Lourdement critiqué par les fans ayant lu et appréciés la série, le film n’a récolté que 73 millions de dollars de recettes, ce qui est très peu quand on sait que le budget initialement prévu pour le tournage était de 60 millions de dollars. Suite aux critiques négatives et à l’échec du film au box-office mondial, l’adaptation du second tome de la série, qui avait pourtant été annoncé par les producteurs, a finalement été annulée. Les acteurs, notamment Lily Collins, ont exprimés leur déception suite à l’accueil du film par les spectateurs : l’actrice qui reprenait le rôle de Clary était elle-même une grande fan des livres écrit pas Cassandra Clare.

Une adaptation en série télévisé prometteuse

shadowhunters-poster-group-600x405La déception engendrée par le film n’a heureusement pas découragé Ed Decter, scénariste, producteur et réalisateur américain qui a choisi de réaliser et de produire la série télévisé adaptée de la série littéraire La cité des ténèbres. On peut donc voir, depuis janvier 2016, sur Netflix cette série qui n’est en rien une suite au film mais bien un reboot. L’histoire se veut assez près des livres mais offre quand même quelques nouveautés en intégrant quelques éléments des autres livres de la franchise Les Chroniques des chasseurs d’ombres. La première saison a reçu des critiques mitigées, ce qui n’a pas empêché la production de la deuxième saison prévu pour début 2017. De plus, cette série nous offre la possibilité de découvrir des acteurs inconnu ou peu connu du grand public plutôt prometteurs, même si au fil des épisodes nous avons la bonne surprise de redécouvrir le talent d’acteur d’Harry Shum Jr, acteur et danseur américain connu notamment pour son rôle de Mike Chang dans la série à succès Glee.

Que vous soyez fan des livres ou non, cette série est accessible et facile à comprendre car tout cet univers est très bien présenté aux spectateurs qui n’a donc aucun mal à suivre le déroulement des événements. Que ce soit en livre ou en série télévisé, l’œuvre crée par Cassandra Clare ne décevra personne. Il est donc fortement conseillé aux fans de roman fantastique ou aux simples curieux de se plonger dans cet univers où chasseurs d’ombres et démons se font la guerre juste sous notre nez.

Léonore Boissy

Rouge profond et verres fumés

Tsutomu Yamazaki

« Être désespéré mais avec élégance »
Jacques Brel

Quel point commun entre Audrey Hepburn et Augusto Pinochet ? Les deux extrémités de l’humanité sous le voile impassible des Wayfarer : la beauté estivale d’une jeune fille jouant Moon River de Mancini ; la haine froide et meurtrière d’un militaire chilien. S’en rendre compte, « ça ouvre des abîmes insoupçonnés » et ça mérite d’y consacrer un livre. De percer le mystère du même masque fumé porté par le ténébreux Tsutomu Yamazaki dans Entre le ciel et l’enfer de Kurosawa et par Pier Paolo Pasolini dans les derniers temps de sa vie ; de sonder la destinée de Monica Vitti dans L’Éclipse d’Antonioni et de celle de Bukowski qui affirmait ne « jamais porter de lunettes noires ». D’associer la fiction à la réalité, le rêve à la révolte.

Physiologie des lunettes noires est un dialogue avec soi-même qui, d’une digression à l’autre, permet de déjouer les filatures des petits flics du sens. D’une écriture tristement joviale et essentiellement autobiographique, Jérôme Leroy élabore ainsi le parfait guide pour ceux qui, ne pouvant se soustraire à leur époque, préfèrent, de façon mélancolique et indolente, en atténuer le reflet irritant.

Une coupable frivolité

BukowskyLes esprits sérieux en conviendront : discourir sur les lunettes noirs en ces temps de crise sociale, de « réarmement moral », de guerres ethniques, d’attentats terroristes, de clash entre Joey Starr et Gilles Verdez ce n’est pas sérieux. Non, vraiment, on sent le dandy détaché des réalités qui, comme Nietzsche, veut mettre l’épaisseur de trois siècles entre lui et aujourd’hui. « Vis caché pour que tu puisses vivre pour toi, vis ignorant de ce qui importe le plus à ton époque ! » qu’il dit le Friedrich et il n’a pas tort. Car qu’est-ce qui importe le plus aujourd’hui ? Jouir sans entraves à Auchan ou la Fnac, grimper les échelons de sa boîte, acheter le dernier smartphone, faire la queue devant Starbucks, lire les philosophes de service, compenser son manque de goût par un simulacre de culture.

Quelle tristesse que cette nouvelle génération de petits bourgeois issus des carnassières années 80, celle – décrite dans la nouvelle Les Jours d’après – qui mène « une existence absurde, solitaire, aux plaisirs falsifiés. Une existence où l’argent coulait à flot et apportait dans leurs lofts luxueux et impersonnels les mêmes frustrations que chez ceux qui n’en avaient pas, d’argent. » Les Jours d’après, en voilà un savoureux recueil de contes noirs (au même titre que La Grâce efficace et Une si douce apocalypse) décrivant la fin d’un monde et l’apparition d’un autre. Une ritournelle entêtante que l’on retrouve dans quasiment tous les ouvrages de Jérôme Leroy et qui nous rend nostalgique d’un paradis perdu que l’on n’aurait même pas connu.

Cela dit, et pour rebondir sur l’affirmation nietzschéenne, nul besoin de trois siècle d’écart pour mesurer la médiocrité de l’époque. Le monde d’avant cher à l’écrivain c’est celui des années 60-70. Celui d’Eddy Mitchell chantant ironiquement « Ne changeons rien ! On vit une époque fantastique ! » et de Bardot faisant rougir le soleil devant la caméra de Vadim ou de Godard, du Doo-Wop et des Yéyé, des hussards et du néo-polar. Son idéal ? Un « communisme sexy, poétique et balnéaire », soit l’exact opposé du monde libéral, terne et puritain actuel. Et de nous conter logiquement, entre autres babioles, la communion entre ses premières lunettes, offertes par son père, et son premier amour, Violetta Moldovan, au cours d’un voyage en URSS : « Les premières lunettes, pour un myope, c’est une manière de dépucelage visuel. Sauf que l’on découvre la volupté de la ligne droite quand, dans l’autre, c’est l’apprentissage de la courbe qui nous enchante. »

Pier Paolo Pasolini durante le riprese del film Teorema, Milano, 1968. Dai monocromi al Nouveau Realisme alla Pop Art, l'arte italiana degli anni '60 rivive in una grande mostra allestita da domani alla Fondazione Museo del Corso. Riunite circa 170 opere, provenienti da collezioni pubbliche e private, per far rivivere una stagione di straordinario fermento creativo, che coinvolse, con lo stesso peso eppure in modo differente, le due capitali: Milano e Roma. ANSA/FARABOLA +++EDITORIAL USE ONLY - NO SALES+++

Partir en beauté

Signe d’un art de vivre indolent et séducteur, les lunettes noires appartiennent incontestablement à l’univers du dandysme. Appartiennent à cette galaxie noire et sensuelle : Jacques Rigaut, héros suicidaire du Feu Follet de Drieu la Rochelle ; Robespierre, sachant « profaner la beauté en faisant décapiter quelques femmes aux noms aristocratiques et au cou délicat » ; Edgar Allan Poe, affublant son personnage de La Lettre volée d’une paire de lunettes vertes permettant de voir sans être vu ; James Bond évidemment, désinvolte et violent, fringuant et patriote ; un oncle de l’auteur enfin, ex-militaire aveugle, ne quittant jamais ses lunettes noires, même au moment d’actionner le fusil de chasse posé contre son cœur.

Mais, outre l’exercice d’admiration, Leroy tire également à boulets rouges sur les fâcheux de son époque, recharge et tire encore. Cohn-Bendit : « Le parfait chien de garde. Convaincu en plus. La preuve, il ne porte jamais de lunettes noires. Il n’a rien à cacher. Ni la honte, ni le doute, ni même une joie mauvaise. Il a juste le regard bleu candide que seuls partagent les enfants sages et les assassins. ». Les moniteurs de ski : « tous prétentieux et stupides » parés « d’affreuses lunettes de soleil, d’un mauvais goût absolu, car Godardelles reflètent l’image de l’interlocuteur ». Sans compter les autres porteurs de lunettes fourbes, tels certains chefs d’établissements scolaire obséquieux et tyranniques, des moniteurs du permis de conduire sales et obsédés, certains petits commerçants racistes et quelques auteurs de polar se comportant comme le dernier des anti-fa envers leurs collègues ayant l’outrecuidance de ne pas penser comme eux.

On laissera le lecteur arpenter les autres chemins de traverse de ce petit essai tendre et ravageur en compagnie de Kennedy, J.C Ballard, Camus, Dino Risi, Fajardie, La Rochefoucauld, Clouscard, Ardisson, Baudrillard, Jack Nicholson, Bataille, Paul Valéry, Lautréamont, Guy Debord et Raymond Bankerstein le véritable inventeur des Ray-Ban. Mais chut ! La surprise accroît le plaisir et il est temps de conclure.

Car, en somme, à quoi servent les lunettes noires si ce n’est à contempler la fin du monde en toute sérénité ? Pourquoi s’en faire ? « Il y a une volupté à finir » : un bon transat, sur une plage en compagnie d’Anna Karina, ou dans un jardin parfumé par l’odeur de l’herbe coupée, un verre de vin dans la main, un bon bouquin dans l’autre et le vent chaud du soleil thermonucléaire qui vient caresser les larmes de joie dissimulées derrière cet élégant et indépassable filtre obscur.

Sylvain Métafiot

À lire également cette interview de Jérôme Leroy

Littératures contemporaines : le souffle coréen

La Corée du Sud, un article de magasine m’en a refilé la curiosité. Elle était entre autres l’invitée, le mois dernier, du salon « Livre Paris » ; pourtant, à l’exclusion de leur hégémonie vidéo-ludique et des quelques fantasmes de certains sur les femmes qui peuplent la péninsule, leur littérature, et plus amplement leur culture, ne sont pas parvenues à moi.

Gong Ji-young

Gong Ji-young

L’une des raisons objectives de son peu d’expansion serait la redécouverte très tardive de leur propre patrimoine littéraire. D’histoire, la Corée a été écrasée successivement entre les blocs chinois et japonais, et son code linguistique, le hangeul, fut associé à un code de résistance : la langue a longtemps été l’objet d’une transcription en caractères chinois, suivant le motif récurrent d’une volonté des vainqueurs d’assimilation culturelle. Au XVe siècle, c’est le roi Sejong qui instaure ce code de langue spécifiquement coréen, qui sera interdit un siècle plus tard par l’un de ses successeurs, malmené par des textes qui l’employaient. Anecdote intéressante, le hangeul a été perpétué par des courtisanes lettrées : à l’époque, l’érotisme et la subversion le tissent solidement. Jeong Myeong-kyo, un critique, dit que son pays, en tant qu’aire culturelle singulière, « aurait pu disparaître maintes fois, mais la langue a tenu bon » : preuve en est de la puissance de son souffle et point d’origine, peut-être, d’une écriture qui ne craint pas la frontalité : la littérature coréenne n’est pas, comme veulent le consacrer les topoï asiatiques, le cadre d’une critique allusive, portée par un peuple principalement soumis.

À peine libérée du joug japonais après la seconde Guerre Mondiale, la guerre de Corée (1950-1953) éclate et démet pays et populations, créant la partition fameuse du pays entre Nord et Sud. C’est pourtant à cette époque qu’elle explose économiquement. D’une puissance des plus limitées, elle devient l’énorme bloc qu’on connaît aujourd’hui, au prix nécessaire d’énormes cadences de travail ; la mémoire coréenne souffre du traumatisme et fait, dans sa littérature, resurgir le fait spontanément : Gong Ji-young, écrivaine épicée, ferme critique de la politique autoritaire menée par l’État ces dernières décennies, de sa misogynie et de son patriarcat féroce, déclare : « on a fait en cinquante ans ce que vous avez fait en plusieurs siècles. Comment voulez-vous qu’on ne soit pas fous ? La Corée du Sud est aujourd’hui l’un des premiers pays du monde en pourcentage de suicides. »

Pauvre et douce CoréeCe creux spatio-temporel que traverse la Corée peut s’observer dans la description que faisait, en 1904, le voyageur Georges Ducrocq, dans Pauvre et douce Corée : « Celui qui arrive à Séoul par la colline du Nam-San aperçoit, entre les arbres, un grand village aux toits de chaume. […] Séoul est une grande blanchisserie où le tic-tac des battoirs ne s’arrête jamais. Les femmes travaillent pour que leurs maris resplendissent et ainsi, pensent les Coréens, la vie est bien faite. […] Au coucher du soleil les boutiques ferment ; du pied des maisons s’échappe par les cheminées une fumée blanche et odorante, Séoul s’enveloppe d’un nuage qui sent le sapin brûlé, la nuit tombe, les lanternes s’allument et une vie nocturne commence, extraordinaire, où tous les passants ressemblent à des fantômes ». Aujourd’hui, Séoul n’a plus rien de ce village traditionnel. Certains critiques font le portrait d’un « incontrôlable rhizome », où « les gens sont en permanence distraits » (Kim Young-ha). Ducrocq, dans le même récit, rapportait enfin quelques mots populaires : « Quand les baleines combattent, les crevettes ont le dos brisé », lien se faisant évidemment avec les différentes guerres menées par les puissances environnantes entre lesquelles la Corée a fait figure d’acteur malingre.

C’est pourtant de ces deux blocs, fixés entre développement économique dense et séquelles de la guerre, que la Corée puise une inspiration prolixe et publie en abondance, en dépit des censures, des romans de guerre, porteurs d’une renaissance du réalisme et d’une puissante idéologie.

Monsieur-HanC’est avec l’élection en 1993 de Kim Young-sam que la péninsule redécouvre son passé littéraire et génère une nouvelle vague d’auteurs. Pourtant, et malgré ce regain de flamboiement culturel, les nouvelles générations conservent leur utilisation de l’écriture réaliste, souvent sombre et crue. Chose surprenante en soi, puisque les mots de Le Clézio, recueillis dans la Revue des Deux Mondes, en dressaient un portrait plus positivement onirique : « Au lieu des grands thèmes universalistes, au lieu des auto-flagellations de l’intelligentsia alexandrine de l’Europe, des États-Unis voire du Japon, les écrivains de la jeune littérature coréenne, nourris du secret, de la magie et des entêtements des chemins en dédale, écrivent sur la dérision générale du monde, sur les murmures du langage et sur les réalités de la vie de tous les jours ». Et si, dans un élan curieux, on ouvre un livre (dans mon cas, Monsieur Han, Hwang Sok-yong, 2002), c’est cette franchise – brutale –, celle qui donne leur aspect froissant aux paroles de l’Asie, qui frappe : loin des écritures tranquilles, on retrouve un souffle qui écorche, parce qu’il parle, avant de parler à quelqu’un, d’une mémoire qui doit s’incarner – pour que, littéralement, on la voie – avant d’être une seule mémoire :

« À bout de forces, il pleurait malgré lui et bavait. Quand il baissait la tête et commençait à somnoler, ils lui injectaient par le nez de l’eau dans laquelle ils avaient mélangé de la poudre de piment. Ses journées, interminables, étaient devenues un enfer. Il n’était plus ni professeur, ni réfugié, il n’était qu’un morceau de chair et d’os offert à la cruauté d’une époque en folie. »

Aujourd’hui fermement ouverte sur le monde, influencée également par lui depuis déjà presque une cent-trentaine d’années, la littérature coréenne, portée par sa récente histoire, redresse son mouvement de combat contre la résignation. Et, s’il y avait un commentaire à faire : ça a son charme…

Alexandre Boutard

Les leçons de l’Alchimiste

L’œuvre de Paulo Coelho ne laisse pas indifférent. Soit nous restons de marbre face à ce récit à l’écriture parfois qualifiée de simpliste ; ou bien on est sensible à ce message, et ses livres, comme L’Alchimiste, peuvent transformer notre façon de voir notre propre existence. Le but de cet article est de réfléchir sur quelques enseignements principaux à tirer de la philosophie de Paulo Coelho ou, du moins, d’en proposer une interprétation, car chacun peut lire différemment ce livre truffé de métaphores aux nombreux niveaux de lecture. En effet, outre un récit de voyage dépaysant, il s’agit d’une réelle quête initiatique que mène le personnage de Santiago qui, par la force des choses se retrouve sur le chemin de sa Légende Personnelle.

imagesL’Alchimiste, c’est l’histoire de Santiago, qui a choisi d’être berger plutôt que prêtre, parce qu’il voulait voyager. Il mène ainsi une vie paisible en compagnie de ses moutons, vivant au rythme de ceux-ci. Mais deux nuits de suite, il fait le même rêve, celui qu’un trésor l’attend près des pyramides d’Égypte. Il décide d’aller consulter une voyante qui l’incite à poursuive ce rêve, aussi hypothétique qu’il puisse paraître, et de se rendre en Égypte. Commence alors un long voyage parsemé de rencontres, celle du roi Melchisedec notamment, dont les sages paroles le suivront tout au long de son aventure ; ou celle du marchand de cristaux, faisant ce métier car il « était trop tard » pour en changer, lui qui n’avait jamais rien connu d’autre et était animé par le rêve de se rendre un jour à la Mecque. Un rêve qui lui permettait de supporter son existence, donc un rêve irréalisable. Après avoir travaillé presque un an dans son magasin, parvenant à le faire largement fructifier, Santiago entreprend la traversée du désert à l’aide d’un chamelier, ancien fermier à la vie paisible et dont le destin a basculé lorsqu’une crue du Nil a dévasté son exploitation, l’obligeant à se remettre en question. Il fait également la connaissance d’un Anglais à la recherche d’un alchimiste, passant sa vie à apprendre cette discipline dans les livres sans jamais en saisir le vrai sens faute d’expérimentations. Il rencontre enfin l’amour, incarné par Fatima, puis le fameux alchimiste qui l’amène jusqu’au bord du terme de sa quête.

Tout au long de ce voyage, dans un récit simple et efficace mais surtout rempli de sagesse, le personnage évoluera, nous livrant de précieux enseignements de vie. Voici donc quelques-unes des leçons de vie spirituelles dont la profondeur se creuse à mesure que le récit avance, nous donnant peut-être les clés du bonheur.

Le choix nous appartient

« Il devait se décider, choisir entre quelque chose à quoi il s’était habitué et quelque chose qu’il aimerait bien avoir. »
Dans notre vie, nous sommes parfois confrontés à des crises ou à des prises de conscience. Se pose alors cette effrayante question : faut-il rester dans le confort d’une vie connue, sécurisante, en répétant inlassablement le passé aussi insatisfaisant soit-il, ou bien prendre le risque de tout perde jusqu’au dernier moyen, de se confronter à l’inconnu, afin d’écouter cette petite voix intérieur qui crie que nous passons peut-être à côté de l’essentiel ?

C’est cette deuxième alternative que le berger choisira de suivre, contrairement au marchand de cristaux qui, prétendant se satisfaire de ce qu’il a, se plaint souvent et a des rêves de voyages. En réalité, il a très peur de découvrir qu’il pourrait avoir une vie bien plus riche, car cela lui créerait un conflit intérieur, l’obligeant à remettre en question sa « paresse ». Mais le berger parvient malgré tout à le faire changer un peu car « certaines fois, il est impossible de contenir le fleuve de la vie » : personne, et cela sera souvent répété dans le récit, ne peut faire taire longtemps la voix de son cœur.

Il n’y a aucun malheur, que des expériences qui nous permettent d’avancer dans la connaissance de soi

sans-titre (1)« Il eut soudain le sentiment qu’il pouvait regarder le monde soit comme la malheureuse victime d’un voleur, soit comme un aventurier en quête d’un trésor »
Doit-on nécessairement subir les épreuves, des imprévus qui tombent sur notre route et qui changent le cours de ce que l’on avait prévu à l’origine ? S’il est bien plus facile de s’apitoyer sur son sort, à regretter que les choses n’aillent pas dans notre sens, l’auteur, lui, nous propose de considérer que ces épreuves peuvent aussi être interprétées comme des signes de changement, d’enrichissement, d’évolution. C’est cela même qui donne, au final, un sens à notre existence.

C’est ainsi, grâce aux épreuves parfois fort désagréables, que Santiago va pouvoir évoluer et se rapprocher de sa « Légende Personnelle ». Il n’y aurait donc jamais de malheurs, mais uniquement des occasions de s’enrichir.

C’est lorsqu’on n’a plus rien que tout peut se manifester

Tout au long de son voyage, le personnage principal – mais aussi les autres protagonistes qui ont suivi leur « Légende Personnelle » – a dû renoncer à une grande partie de ses biens. Il abandonne ainsi ses moutons, ses biens les plus précieux, pour pouvoir se donner les moyens de vivre ses rêves. De son côté, le chamelier s’est ouvert à la spiritualité lorsqu’il a tout perdu subitement.

Pourquoi est-ce important ? Parce que les personnages, en renonçant à tout cela, n’ont plus rien à perdre, et peuvent se concentrer sur leur essence. Ils n’ont, dès lors, plus d’autre choix que d’écouter leur instinct.
C’est d’ailleurs dans les moments de découragement – comme lorsque le berger se fait voler tout son argent le premier jour de son voyage alors qu’il est totalement seul, loin de tout – qu’apparaissent des ressources enfouies permettant d’avancer. Ainsi réalise-t-il que ses moutons, ses livres ou encore le roi lui ont tous apporté des enseignements dont il n’avait jusqu’alors pas pris conscience.
C‘est, en fait, la peur de perdre qui empêche les hommes d’accomplir leur destinée. La possession matérielle est un frein à notre quête personnelle.

« Tout est une seule et unique chose »

Cette phrase redondante s’explique au fur et à mesure que le récit avance.
L’auteur veut nous introduire au langage universel. Il s’agit des lois qui muent chacun des éléments et des individus qui composent l’univers, et qui agissent sur eux comme une structure sous-jacente, donnant une âme et un sens à toute chose.
L’Âme du Monde serait donc l’essence du monde, cette chose pure qui nous relie tous, qui tient sur une table d’émeraude, et qui lie les éléments, les animaux, les phénomènes, etc. dans un dessein commun. Le réel but de chacun serait de servir à une œuvre commune, aussi appelée « Grand Œuvre ».

D’après Coelho, ce langage semble être biaisé, détourné par les vices que les humains ont mis devant : les tentations, l’ego, la vanité, le matériel. On pourrait le rapporter à nos existences d’aujourd’hui, en considérant, par exemple, que l’impatience et le désir, nous éloignent du langage universel et nous rendent malheureux. Ainsi, nous nous voilons la face, remplissant notre temps par des addictions, un travail intense ou par un flot de divertissements abrutissants, nous persuadant que cela nous suffit. Mais ces lois sont derrière tout et régissent toute chose. Et tant que l’on ne s’aligne pas sur ces lois – qui nous apparaissent par les signes qui se mettent sur notre chemin – on ne pourra se sentir entier.
Les alchimistes auraient accès à ce langage universel.

Suivre son cœur pour accomplir sa Légende Personnelle

sans-titreCe qui nous connecte à l’Âme du monde est l’amour. Le berger l’apprend aussitôt qu’il rencontre Fatima, la femme de sa vie. L’amour est ce qui nous motive à suivre notre légende personnelle. C’est pour ça que c’est aussi bon que déstabilisant.
Si on le voit souvent comme une menace, comme un élément perturbateur dans notre vie, il faut écouter son cœur car c’est l’élément présent en chacun de nous qui nous relie à l’Âme du monde. Aussi mystérieux soit-il « l’univers n’a besoin d’aucune explication pour continuer sa route dans l’espace infini ». Ainsi, on n’a pas besoin de comprendre la « force mystérieuse » qui vient du cœur, que l’on pourrait plus couramment nommer « intuition ». Elle s’explique en elle-même. Elle est là, c’est tout, derrière toute chose. Elle les muent. C’est l’origine inhérente à toute chose de l’univers. Il ne faudrait plus chercher à façonner sa vie, mais se laisser façonner par elle.

Seul le chemin compte

À la fin du récit, Santiago a évolué. Peu à peu, nous découvrons que le trésor à l’origine de son voyage n’est qu’un prétexte pour suivre le chemin de sa Légende Personnelle. En termes familiers, le trésor représente ce que l’on pourrait appeler le destin, « mekhtoub » en arabe.
Paulo Coelho nous fait comprendre que l’important est le chemin, que le destin est fait pour être changé, et que le futur nous permet uniquement de savoir comment agir dans le présent. Ainsi l’exprime très bien le devin que Santiago rencontre alors qu’il est dans le désert : « si tu améliores le présent, ce qui viendra ensuite sera également meilleur ». Seul le présent existe.

Ainsi, dès lors qu’on accomplit sa légende personnelle, on peut mourir en paix. On n’a plus peur du temps ni de la mort, puisque ce qui compte, le but ultime de l’existence, c’est le chemin que l’on suit au présent.

En conclusion, Paulo Coelho nous livre des leçons fondamentales sur l’existence, qui parleront sans doute à ceux qui se questionnent sur le sens de la vie. Pour Coelho, il faut vivre au service de notre intuition/cœur/Légende Personnelle pour servir à l’âme du monde, seul moyen pour être heureux. Le tout est de bien comprendre les signes qui se présentent sur notre chemin.

Eléonore Di Maria

Tchekhov, l’homme à l’étui

À l’instar de nombreuses littératures étrangères, la littérature russe a été marquée par des écrivains-médecins comme Veressaiev, Aksionov, Boulgakov et dont Anton Tchekhov fait également partie. À l’époque où, en France, les romans retracent les ascensions sociales et les écrivains russes donnent les leçons de bonnes mœurs (la fameuse Anna Karenine de Tolstoï et les Crimes et Châtiments de Dostoïevski), Tchekhov, grâce à son métier, observe de près le peuple. Par la simplicité de son écriture à travers six cent nouvelles et quinze pièces de théâtre il dépeint les verrues de sa société.

Mauvais médecin ou écrivain médiocre ?

TchekovDe son vivant Tchekhov n’avait pas beaucoup confiance en soi. Issu d’un milieu pauvre, même quelques fois battu par son père, il devient chef de famille à seize ans puisque ses deux frères aînés, pour lesquels il avait beaucoup d’admiration, devinrent alcooliques et n’arrivaient plus à gérer la maison. Tchekhov enchaîne les petits boulots jusqu’au moment où il débute des études de médecine et commence à écrire pour gagner de l’argent. Comme il est payé à la ligne, on lui demande de faire court. Il se crée quatorze pseudonymes pour pouvoir publier environ un récit tous les trois jours (il n’a le droit de publier qu’un par semaine). La médecine devient sa profession de jour et celle d’écrivain la nuit. Il ne remarque chez soi aucun talent particulier jusqu’au jour où il va à Saint-Pétersbourg et découvre qu’il est beaucoup apprécié. Par la suite, il arrive à publier chez un éditeur connu à l’époque, Souvorine. Il pense également de ne pas être un très bon médecin puisqu’un jour il rate une intervention chirurgicale, obligé d’appeler un confrère à la rescousse. Il ne diagnostique pas chez lui la tuberculose – non par manque de discernement mais par peur de regarder la vérité en face – bien que c’est de cette maladie qu’il mourra : « Je vais à Sakhaline pour régler ma dette envers la médecine » dit-il. Sakhaline est une île, un bagne de l’empire russe, ancêtre du goulag. C’est un voyage de 10 000 km, qu’il réalise en charrette, en train et en bateau, un voyage de 81 jours. L’idée est bien sur de dénoncer la souffrance et les conditions abominables des forçats. Mais à part ces forçats, il y a bien une vie des soldats qui jouent aux cartes, qui vont dans des bordels, et qui punissent en toute insensibilité et indifférence. L’auteur dénonce cet enfermement en soi, cet aveuglement, le manque d’empathie et de responsabilité qu’on retrouve dans d’autres œuvres marquées par ce voyage comme La salle n°6. Peut-être croit-il avoir été un mauvais médecin ou un écrivain médiocre mais lorsqu’il avait un peu d’argent il subventionnait une école et envoyait des livres dans sa campagne natale. Anton Tchekhov se distinguait en sa qualité d’homme par sa conscience, son objectivité et sa charité.

« Ce que les écrivains nobles prenaient gratuitement à la nature, les écrivains roturiers l’achètent au prix de leur jeunesse. Écrivez donc un récit, où un jeune homme, fils de serf, ancien commis épicier, choriste à l’église, lycéen puis étudiant, entraîné à respecter les grades, à embrasser les mains des popes, à vénérer les pensées d’autrui, reconnaissant pour chaque bouchée de pain, maintes fois fouetté, qui a été donner des leçons sans caoutchoucs aux pieds, qui s’est battu, qui a tourmenté des animaux, qui aimait déjeuner chez des parents riches, qui fait l’hypocrite avec dieu et les gens sans aucune nécessité, par simple conscience de son néant, montrez comment ce jeune homme extrait de lui goutte à goutte l’esclave, comment un beau matin, en se réveillant, il sent que dans ses veines coule non plus du sang d’esclave, mais un vrai sang d’homme »

Un regard dépassionné

12968797_1177826858935507_655021286_nOn peut aimer… Non ! On aime Tchekhov pour son regard dépassionné ! Il a prit l’habitude de faire court mais sans oublier de décrire d’une manière simple et marquante, externe mais humaine, le cadre et les personnages. La salle N°6 illustre bien ce propos. Dans l’incipit le narrateur s’adresse au lecteur puis se confondent dans un « nous ». « Si vous ne craignez pas de vous piquer aux orties, prenez le petit sentier qui conduit à l’annexe et nous jetterons un coup d’œil à l’intérieur. » Ainsi on découvre d’abord l’hôpital quasi abandonné et la fameuse salle N°6 dédié aux malades psychiatriques. Cinq personnes y vivent. Elles sont toutes décrites mais une fixe particulièrement notre attention : Ivan Dmytritch, dont le narrateur expose la vie qui avait précédé. C’est un homme atteint de crises paranoïaques mais qu’on a cloîtré sans chercher les causes de sa maladie ni en soigner les effets. Le lecteur se demande ce qui justifie tant d’injustice et surtout pourquoi l’hôpital est dans un état si délabré. Les patients ne sont ni soignés, ni visités par le médecin, mal nourris et même battus par le vigile qui tente de rétablir le calme. Par ce glissement progressif on fait la connaissance du médecin, Andrei Efymitch. La ville ne donne aucune subvention à cet hôpital, le docteur est fatigué de voir toujours les mêmes malades sans pouvoir les aider. Il refuse de travailler, préférant lire des livres en buvant de la vodka et mener des discussions profondes avec son ami. Pourquoi soigner quand cela ne fait que retarder la mort, qui arrivera tôt ou tard ? Tout change le jour où Andrei Efymitch et Ivan Dmytritch commencent à se parler. Leur discussion est existentielle : la vie, la mort, l’existence d’au-delà : « L’ordre moral et la logique n’ont ici rien à voir ; tout dépend des circonstances. Ceux qu’on a envoyés ici y demeurent, et ceux qu’on n’y a pas envoyés se promènent ; voilà tout. Je suis docteur et vous êtes un malade de l’esprit ; il n’y a là-dedans ni moralité, ni logique, mais une simple contingence. » Or, l’entourage du docteur découvre qu’il parle chaque jour avec un aliéné on le prend lui-même pour un fou et on décide de le soigner. Andrei Efymitch n’en peut plus de ces gens qui ne voient rien et qui ne veulent rien comprendre. Il explose. Enfermé le regret de son indifférence l’atteint dans cet isolement la nuit de la Salle N°6. Grâce à son talent d’écrivain et sa fonction de médecin, Tchekhov nous fait réfléchir sur notre propre folie à travers le regard des autres. Pourquoi les gens sont insensibles ? À quoi mène le rejet de sa propre responsabilité ?

« J’aime la vie ; je l’aime passionnément ! La monomanie de la persécution me torture d’une peur continuelle, soit ! Mais il est des minutes où il me prend une telle soif de vivre que j’ai vraiment peur de perdre la tête. Je désire furieusement vivre ; furieusement ! »

La Mouette ou Andromaque à la campagne russe

12968701_1177823768935816_615129252_nLa Mouette est une des plus célèbres pièces de Tchekhov parmi La Cerisaie, Oncle Vania, Les Trois Sœurs. Les personnages sont reliés par un amour non réciproque : Medviedenko aime Macha, qui aime Konstantin, qui aime Nina, qui aime Trigorine, lui-même aimé par Arkadina, elle-même adulée par Dorn, lui-même aimé par Paulina qui se détache de Chamraïev. Les deux personnages principaux sont Konstantin, fils d’Arkadina, une actrice célèbre qui essaie d’écrire une pièce de théâtre pour faire jouer sa bien-aimée Nina. Cette dernière doit s’enfuir de ses parents pour voir Konstantin et rêve de quitter la province pour devenir une grande actrice. En parallèle, la haute société est dépeinte par le couple de la célèbre actrice Arkadiena et Trigorin, un écrivain à succès. Puis on a une troisième échelle de personnages, la plus basse : Macha, une malheureuse qui boit à cause de la non réciprocité de Konstantin qui ne la voit même pas et est aimée par Medviedenko qui n’est qu’un maître d’école. Tout se gâte quand l’instinct de partir chez Nina devient trop fort, elle tombe amoureuse de Trigorin qui brûle également pour elle. Trois ans après on découvre qu’il l’a délaisse, leur enfant est mort, elle n’a aucun succès au théâtre. Trigorin se remet avec Arkadina. Macha se marie avec Medvedenko tout en continuant d’aimer Konstantin. Quant à Konstantin depuis toujours éclipsé par la réputation solaire de sa mère, il devient peu à peu connu, il côtoie sa mère et son amant, il n’arrive pas à arrêter de penser à Nina. Cette dernière lui avoue son amour et lui dit qu’elle aime toujours Trigorine.

On retrouve la figure de Tchekhov dans l’écrivain Konstantin et dans le médecin Dorn. Surtout lorsque celui-ci comprend que Konstantin s’est suicidé. Comme si c’était son double. La figure de la Mouette, elle, est attribué à Nina. Trigorine a tué une mouette qu’on empaille or trois ans plus tard, Trigorine ne s’en souvient même pas. Cet effacement de la mémoire semble la vraie tragédie de La Mouette. Elle a vécu heureusement auprès d’un lac et meurt intérieurement dans une grande ville. La mise en abîme du théâtre et du métier d’écrivain rend encore plus intéressante cette pièce, riche par l’histoire qu’elle met en scène et les passions qui s’allument comme des étincelles pour se transformer en grand feu.

« Je suis en deuil de ma vie. » – Macha dans La Mouette

Tchekhov part en Allemagne pour se faire soigner mais c’est son cadavre qui rentre en Russie dans un wagon remplis d’huîtres. Une centaine de personnes seulement sont présentes lors de son enterrement et Gorki s’exclame « Et dire qu’il s’est sacrifié pour cette bande de salauds ! ». Tchekhov admirait Maupassant, c’était également un liseur du siècle des Lumières, qui admira et jugea en même temps Zola pour son engagement dans l’affaire Dreyfus. Il fut également ami avec Tolstoï avec lequel il entretenait une correspondance. Cela n’influait pas pour autant son discernement sur l’auteur de Guerre et Paix. Tchekhov a su marquer les esprits de son temps sans le savoir et pensait qu’on le lirait encore sept ans après sa mort. Force est de constater qu’il sous-estimait sa postérité.

Maria Chernenko

Le roman gothique : l’effroi surnaturel

Van_Helsing_001

L’étudiante en master Recherche que je suis ne pouvait s’empêcher de parler du sujet qui hante ses journées et rythme son année ! En tant que rédactrice d’un mémoire à plein temps, il m’est devenu difficile d’éviter d’aborder ce pan de la littérature… Alors tentons le tout pour le tout : vous faire (re)découvrir un genre qui paraît désuet, mais qui a inspiré nombre de styles littéraires au cours des deux siècles qui ont suivi son apparition : le roman gothique !

Non, ne fuyez pas, ne criez pas à l’hérésie ou au genre mort ! Le gothique, c’est de la fiction comme on n’en fait plus, un savant mélange entre le réel et l’irréel et, même s’il naît au XVIIIe siècle, le gothique se lit très bien ! Parce que le XVIIIe siècle, beaucoup l’oublient, n’est pas uniquement le siècle des Lumières, des philosophes, de l’Encyclopédie et des grandes découvertes, mais aussi celui d’un grand doute en fin de siècle, des peurs sociales et le sentiment de la fin d’une ère idéale. L’arrivée du nouveau siècle se fait sur une révolution, la fin du précédent se définit par le drame et la guerre. Quoi de mieux, alors, que la littérature pour essayer d’y voir un peu plus clair, de mettre de l’ordre dans des idées qui fusent et s’emmêlent ?

300px-StrawberryhillLa littérature gothique – principalement celle venant d’Angleterre, qui a le plus produit d’œuvres, et parmi les meilleures – se forme autour des années 1760, et correspond à un renouveau, en parallèle de la littérature, du style architectural gothique. Une mode architecturale qui trouve d’ailleurs sa place dans les lieux du récit : château sombres et imposants et autres monastères en ruine. Horace Walpole, dont le roman Le Château d’Otrante est largement considéré comme le premier véritable roman gothique, agit comme l’instigateur de cet essor, notamment en se faisant construire une bâtisse au style gothique près de Twickenham – Strawberry Hill House. Le court roman de Walpole fait le récit d’une descendance usurpée et d’un père despotique, dont les ancêtres cherchent à faire rétablir la vérité sur les héritiers. Le portrait du grand-père se manifeste notamment à ses petits-enfants en quittant son cadre !

Comment qualifier et expliquer la fiction gothique ?

Pour le dire de façon simple, la littérature gothique est une littérature qui met en scène des éléments du surnaturel dans un contexte réel. Si la plupart des romans de ce genre ne se passent pas au moment où ils sont écrits – beaucoup se déroulent au XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle – ils ont néanmoins cette volonté d’ancrer leurs récits dans un contexte historique réel, qu’il soit contemporain ou non. Et c’est l’apparition d’une situation, d’un personnage ou d’un objet irréel, fantastique, qui trouble le récit, met les personnages en péril et provoque la peur du lecteur. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, le roman gothique a bel et bien comme volonté de faire peur. La peur se dégrade cependant selon les romans, allant du sentiment de frayeur à celui d’horreur. Dans son évolution, le roman gothique a d’ailleurs vu émerger le genre du roman d’horreur. Ames sensibles s’abstenir !

L’écriture féminine à l’honneur

Par ailleurs, le gothique a cette particularité d’être une littérature mixte ; entendez par là que les auteurs féminins sont nombreux, et ne sont pas en reste de la production masculine. Bien au contraire, elles font partie des écrivains majeurs du genre. Leur écriture est inventive et adroite, et elles n’ont rien à envier des puissances imaginatives et fantastiques de leurs confrères.

Ann_RadcliffeAnn Radcliffe constitue ainsi un des fers de lance de la littérature gothique et ses romans ont inspiré un grand nombre de ses contemporains. Son style est dense, sûr et habile. Elle a cette particularité d’établir à la fin de ses romans une explication des phénomènes irrationnels de son récit, laissant ainsi une part de raison dans ses œuvres. Avec elle, le gothique ne peut pas être un roman purement imaginatif, la réalité doit retrouver pied dans la résolution de l’intrigue. Mais attention, tout n’est pas rationalisé ! Radcliffe sait aussi garder une part du mystérieux qui habite ses romans. Certaines incertitudes restent inexpliquées. De ce grand maître de la littérature gothique, vous pouvez vous délectez de son style, à la limite avec les débuts du Romantisme du XIXe siècle ; vous y rencontrerez des moines fous, des parents décédés ou disparus, des héros crédules et des héroïnes capturées. Sans oublier des cachots, des fantômes et des murmures au détour d’un bâtiment en ruine ! (Lisez Les Mystères d’Udolphe, L’Italien, Les Mystères de la Forêt…)

Autres femmes auteurs : n’oublions pas Mary Shelley, à l’origine du spectaculaire Frankenstein ou le Prométhée moderne, ou encore Charlotte Smith et Clara Reeve !

Le gothique infernal

artaud le moine lewisSi vous préférez des romans dans une veine plus provocatrice – sans pour autant atteindre les sommets de provocation et d’hérésie du sulfureux Sade – je ne peux que vous conseiller de lire Le Moine de Matthew Lewis, un roman mêlant des intrigues familiales et amoureuses, une femme diabolique qui se fait passer pour un novice dans le but de se rapprocher du moine dont elle est amoureuse et adepte de magie noire, un couvent de religieuses avides, une Nonne sanglante, et bien entendu un moine dépravé, corrompu et pervers. Le roman de Lewis est, lui aussi, un pilier de la production de cette fin de XVIIIe siècle, parce qu’il ose ce que d’autres romanciers effleurent seulement. Ses personnages sont à l’opposé les uns des autres : tendres ou vils, bons ou corrompus, sacrifiés ou bourreaux. Lewis met en scène Satan, par l’intermédiaire d’un de ses sbires, il expose la véritable horreur : la cupidité, le viol, le crime. À noter qu’Antonin Artaud en a fait une traduction !

Mais loin de ses extrêmes, il ne faut pas oublier que le roman gothique est à l’origine d’une nouvelle veine littéraire qui fleurit au XIXe siècle, en parallèle du Romantisme : le Fantastique. De nombreux auteurs comme Poe, Maupassant ou Hugo s’inspirent d’éléments du gothique dans leurs œuvres. Si on y réfléchit, le Horla de Maupassant, ce personnage invisible, anonyme, n’est ni plus ni moins que le nouveau fantôme hérité du gothique : un fantôme terrifiant, cette fois perçu par l’intermédiaire de la psychologie qui émerge alors. Et les nouvelles de Poe puisent abondamment dans l’imaginaire du gothique, avec ses sombres rues, ses créatures incertaines, ses fantômes et ses énigmes obscures. Dans la même veine d’idée, le gothique a également inspiré la science-fiction, allant ainsi de pair avec les anti-utopies du XXe siècle.

Et la littérature gothique continue d’inspirer les auteurs contemporains ! On ne compte plus les références gothiques dans des romans fantastiques, comme la saga Harry Potter. C’est dans cette littérature que J. K. Rowling trouve ses miroirs magiques, tableaux vivants et autres fantômes parlants !

Bref, saisissez un roman gothique, et savourer les mots des rebelles du siècle des Lumières !

Mathilde Voïta

One-punch man ou le super héros banal

177065On a tous le stéréotype du super héros en tête. Prenons l’exemple de Superman : malgré le fait que son costume ne plaît pas à tout le monde (du fait qu’il porte son sous-vêtement par-dessus ses collants) il reste le sauveur par excellence, venant d’une autre planète et possédant une force surhumaine. Mais tout les super-héros n’ont rien de surnaturel : Batman, pour ne citer que lui, utilise des gadgets pour faire régner la justice. Dans One-Punch Man le héros est un mélange entre Superman et Batman regroupé en un seul personnage nommé Saitama. Une de ses particularités physique est son crâne chauve. On a rien contre les chauves mais il faut bien avouer qu’un super-héros sans cheveux ce n’est pas très commun. On peut éventuellement le comparer au professeur Xavier dans X-Men mais Saitama n’a pas le pouvoir de télépathie, il n’utilise pas son mental mais ses bras.

Mais d’où vient ce manga ? Il trouve son origine sur Internet. En effet, c’est un dénommé One qui publiait les planches de One-Punch Man sur son blog en 2009. Le nombre de visites ayant vite augmenté (dépassant les dix millions), la maison d’édition Shueisha lui a proposé en 2012 à Yusuke Murata de réaliser les dessins du manga. Le premier tome est ainsi paru en 2016. Le public français attendait depuis des années de voir One-Punch Man dans les rayons des librairies. On attend le troisième tome qui ne devrait plus tarder mais si vous êtes impatient de connaître la suite, vous pouvez voir l’animé disponible gratuitement et légalement ici.

L’histoire est assez simple : Saitama, jeune homme sans emploi vivant dans un monde peuplé de créatures qui veulent tuer la population et prendre le pouvoir, décide de s’entraîner pour devenir un super-héros. À force de volonté, Saitama réussi mais en devient chauve. Comme le titre l’indique, il développe un coup de poing qui bat tous les monstres. Il est tellement fort qu’il ne trouve personne à sa hauteur et s’ennuie. Tout pourrait être parfait mais le super-héros n’est reconnu par personne. On lui reproche toujours la destruction des bâtiments mais on ne le remercie jamais d’avoir sauvé l’humanité. Il y a de quoi être frustré !

one-punch-man-1-kurokawaPourtant, un jeune cyborg remarque Saitama et décide de devenir son disciple. Lorsqu’il demande à son maître d’où lui vient une telle force, Saitama lui répond tout naturellement que c’est en faisant 100 pompes, 100 abdos, 100 squats et 10 kilomètres de course à pied chaque jour (à sa sortie, le manga a provoqué un tel engouement chez les lecteurs qu’on a assisté à l’émergence de sites proposant le même entraînement que Seitama). Tout est surnaturel dans le manga sauf l’origine du super pouvoir du héros. Et ça c’est nouveau. Cela dit, l’histoire devient un peu répétitive. On a toujours le même scénario : un méchant arrive, Saitama le tue, personne n’est reconnaissant.

En ce qui concerne le graphisme, les dessins sont simples et efficaces, on comprend facilement ce qui se passe. Une remarque, cependant, sur la tête du héros. N’ayant plus de cheveux le reste de la tête peut être simplifié mais là elle a la forme d’un œuf avec deux yeux, un nez et une bouche et rien d’autre. Le héros doit être le seul personnage qui demande le moins de temps de travail. Et il porte un costume de Superman, le genre de vêtement que portent les enfants quand ils défilent dans la rue le Mardi gras. Mais quand un combat commence, le graphisme du héros prend plus de détails, dégageant un sentiment de force. Quand Saitama est sérieux durant une bataille, son visage change ses traits se durcissent.

Finalement, l’univers du manga est assez ironique, on rigole souvent à la vue de certains personnages. À se demander d’où l’auteur tient une telle imagination. On est loin du shonen de combat classique : les scènes de bataille sont bien présentes mais agrémentées d’une petite touche d’humour qui détend l’atmosphère, c’est assez burlesque. One-Punch Man est à conseiller à tous ceux qui ont en ont marre des mangas qui se prennent trop au sérieux avec des super-héros supérieur intellectuellement et physiquement. Même le plus banal des humains peut surpasser le plus grand des surhumains.

Mégane Richard

Voir également la vidéo de Rufio à ce propos.