L’Arabe du futur : quand le rire et la sensibilité d’un enfant détruisent les frontières entre les nations

Fauve d’or du meilleur album 2014 au Festival international de la BD d’Angoulême, phénomène éditorial, série incontournable… nombreuses sont les éloges faites à Riad Sattouf et à son œuvre à succès depuis 2014, L’Arabe du futur, une jeunesse au Moyen-Orient. Trouver les tomes 1 et 2 était loin d’être facile, la faute à l’actualité bouillonnante et désastreuse mais aussi au bouche à oreille enthousiaste des lecteurs de tout âge et de tout horizon. Depuis leur parution, ses bandes-dessinées ont été vendues à plus d’un million d’exemplaires dans le monde et traduites dans dix-sept langues : Riad Sattouf a bel et bien réussi à faire (re)découvrir la bande-dessinée aux plus récalcitrants. Retour sur un roman graphique autobiographique d’un gamin syrien et breton de 1978 à 1985.

L’épatante mémoire d’un ancien blondinet dans la Lybie de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Assad

Dès la première page du premier tome, le petit Riad aux cheveux d’or réussit à nous conquérir avec une aisance déconcertante. On se détache très difficilement de ce garçon sensible et admiratif de son père, un docteur en Histoire idéaliste mais contradictoire qui souhaite ardemment contribuer à éduquer l’Arabe d’aujourd’hui pour créer l’Arabe de demain. De là naît l’expression « l’Arabe du futur », un individu libre de l’influence des Américains et des Russes. La famille Sattouf, en particulier le père, espère vivre avec prospérité malgré les débuts de vie difficiles en Lybie, où les logements n’ont pas de serrures et où les denrées alimentaires sont restreintes. Riad est très réceptif face aux tensions, aux ambiances nouvelles qu’il découvre depuis ses premiers pas en France à sa socialisation en Lybie, et surtout en Syrie, à Ter Maaleh, le village de la famille Sattouf : dans une narration fluide et efficace, on suit une voix off, celle du dessinateur aguerri, qui questionne ou explicite davantage les propos des protagonistes avec subtilité. Bien que les dialogues et le rythme soient le produit de la créativité du bédéiste, la part du réel, issue de la seule mémoire de l’enfant, constitue la majorité du support narratif de ces chroniques.

Sa naïveté éblouissante fait écho à n’importe quel enfant, même si on n’a pas forcément connu la « honte » de parler arabe devant des inconnus français de peur de faire des bruits de « vomissements », si l’on suit le raisonnement du petit Breton syrien. Cette plongée dans les souvenirs n’est jamais ennuyeuse car elle retransmet des détails hilarants, dégoûtants ou délicieux, et très marquants, dans lesquels on peut se reconnaître : on ne se sent pas voyeuriste mais lecteur, spectateur et auditeur accueilli avec sympathie. Rien ne peut nous échapper grâce aux précisions – littéralement écrites sur des détails graphiques – voulues par l’auteur : les bananes à foison, mûres ou non, englouties avec appétit par Riad, les poitrines basses des femmes de Jersey, la représentation de Dieu en la personne de Georges Brassens, les mollets impressionnants de son institutrice cruelle, ou encore les doigts d’honneur hilarants des petites filles à l’égard des garçons.

Le trait se veut expressif à souhait, pour mieux communiquer ses expériences : le regard autoritaire ou honteux de son père peinant à devenir maître de conférence, la fatigue et la lassitude de sa mère, « les grimaces incroyables » d’une fille, « l’air le plus pervers qui soit » du fils du cousin général sont dessinés avec simplicité et nuance, ce qui rend leurs expressions captivantes et faciles à mémoriser. Les faits et gestes restent dans l’imaginaire et l’interprétation de cet enfant doué pour dessiner un certain Pompidou, on ne tombe pas dans l’exagération ou la surenchère des bons et mauvais moments de l’enfance. Le changement géographique s’associe naturellement à une couleur : le jaune de la Lybie contraste avec le bleu de la France, pour mieux symboliser le déracinement, tout comme le rose de la Syrie. L’œil de lynx de Riad Sattouf, associé à sa malice et son souci de transmettre, permet ainsi une description pointilleuse, légère et véridique de ses sept premières années de sa vie.

Une enfance particulière rattachée aux actualités : une autre vision éclairante des liens entre les sociétés syrienne, lybienne et française

La guerre civile syrienne, débutée en 2011, a été l’élément déclencheur du travail intense fourni par Riad Sattouf pour L’Arabe du futur : en cherchant à aider, avec difficulté, une partie de sa famille non loin de Homs à immigrer en France, il décide de raconter son parcours, ses observations et expériences depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Il choisit alors de faire ce travail d’introspection et de recherche d’anecdotes croustillantes en cinq tomes, le troisième étant paru en octobre 2016. À travers les ressorts de la saynète ironique, Riad s’interroge avec profondeur sur la virilité, les rapports femme-homme et la violence présente en salle de classe ou dans la cour de récréation. Même les insultes, les plus stigmatisantes et graves qu’il soit, sont traitées avec humour et intelligence : «  »yahoudi » signifiait  »juif » et c’est le premier mot que j’ai appris en arabe syrien », une insulte dont il fait l’objet en raison de ses cheveux blonds.

La figure du père, Abdel-Razak, est traitée avec clairvoyance et finesse : sans condamner directement ses arguments d’autorité, son rejet de la démocratie et de la liberté ou son adhésion à la peine de mort, l’auteur s’attache à refléter le mieux possible le rapport père-fils tel qu’il l’a perçu. Les difficultés du père à devenir millionnaire, à posséder une Mercedes et une superbe villa annoncent des déceptions et des désillusions pour créer les États-Unis arabes. Ce malaise à l’égard d’Abdel-Razak est-il volontaire ? Riad Sattouf préfère laisser le lecteur libre dans ses jugements.

L’Arabe du futur présente donc deux sociétés du Moyen-Orient avec leurs failles, leurs dérives – dues à des systèmes dictatoriaux – mais il montre également leurs points communs avec la société française avec un rire bienveillant. Les écoles d’Europe et du Moyen-Orient sont toutes deux des tremplins sociaux et les rapports entre les filles et les garçons sont hostiles sur les deux continents pour ne citer que ces exemples. Au vu de l’état actuel très critique de la Syrie et de la Lybie, Riad Sattouf nous offre donc une vision microsociale et politique du Moyen-Orient et de ses liens avec la France sur un style poétique, drôle et intelligent. À l’image de Maus d’Art Spiegelman et de Persepolis de Marjane Satrapi, L’Arabe du futur abolit les frontières entre dessin et littérature avec brio pour mieux nous interroger sur nos relations internationales avec cette région du monde si proche de nous. En bref, il est urgent de retourner en enfance et voyager en compagnie du joyeux et attachant Riad.

Gwen T.

Une écriture d’arbre, par Didier Van Cauwelaert

Le Journal Intime d'un Arbre

Les arbres sont des piliers du monde et des joyaux de l’univers. Presque immortels, ce sont des sentinelles immobiles, des acteurs du temps essentiels à la vie. À la fois poumons de la planète et asile du vivant, ce sont des symboles universels de vie, d’amour et de force. C’est ainsi que Didier Van Cauwelaert a imaginé greffer une conscience et des sentiments presque humains à cette toute puissance hiératique dans son livre Le journal intime d’un arbre, qui fut publié en 2011.

Quelques mots sur l’auteur

Didier Van Cauwelaert est un écrivain français né dans les années 60 et passionné d’écriture depuis son plus jeune âge. C’est un auteur très productif qui s’affirme dans de nombreux genres ; il a effectivement écrit de nombreuses nouvelles, une vingtaine de romans mais s’est aussi essayé au théâtre et au cinéma. Il a remporté de nombreux prix parmi lesquels figure le prix Goncourt (1994) pour son roman Un aller simple.

Le livre

Le journal intime d’un arbre est le récit des pensées de Tristan, un poirier tricentenaire. C’est une double histoire qui commence lorsque Tristan s’effondre après une tempête. Contre toute attente, sa conscience survit grâce à des fragments de lui-même qui lui servent d’enveloppe corporelle : des bûches destinées à brûler dans la cheminé de son propriétaire, la statue faite par une petite fille dans son bois, les pensées et les sens de Tristan vagabondent ainsi entre bûches et statue. Cette omniscience le rend témoin de l’histoire du présent, avec celle de Tristane (la sculptrice) et de Yanis ; ainsi que de celle du passé, grâce à ses 300 années de souvenirs. C’est donc à travers les yeux critiques et tolérants d’un arbre qu’on découvre les mœurs plus ou moins acceptables de l’Homme : l’amour, la guerre, la dépression, la joie, la tristesse et toutes ces choses si humaines. Tristan comme l’humain ressent, comprend et a un avis sur chaque événement dont il est témoin, mais ne peut fatalement pas agir sur le cours des choses puisqu’il est malgré lui une conscience figée.

Quelques critiques

Ce roman est un livre formidable qui a été sujet à quelques éloges de la part de personnalités littéraires et de la critique, notamment pour sa profondeur et sa façon de raconter une histoire d’amour plutôt anodine à travers les yeux d’un arbre. De fait, Edmonde Charles-Roux, romancière et membre de l’Académie Goncourt, a qualifié le roman d’ « admirablement drôle et malicieux, tendre mais instructif… » ; et François Busnel, critique littéraire pour l’Express, a avoué avoir fait « un séduisant voyage dans la conscience d’un arbre ». Alors, si ce roman a su conquérir de nombreux lecteurs, j’espère que vous également vous plongerez dans ce petit roman délectable et plein de surprises !

Noémie Bounsavath

Quand la mode s’invite dans la littérature

« La mode n’est ni morale, ni amorale, mais elle est faite pour remonter le moral. » – Karl Lagerfeld.

En cette période de soldes, on ne peut s’empêcher de parler de l’un des passe-temps préférés des femmes en plus de faire la tête, le shopping. Activité qui consiste à rentrer dans un grand nombre de magasins, généralement de vêtements, et qui se pratique seule ou en groupe. Les femmes qui pratiquent cet exercice savent à quel point il est difficile de résister quand un vêtement qui nous plaît nous fait de l’œil et ce même si notre compte en banque ne nous permet aucun écart de conduite. Et si malheureusement vous craquez malgré cela et que votre armoire est pleine, il est possible que vous soyez une shopaholic : une accro du shopping.

Confessions d’une accro du shopping

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Tout comme Rebecca Bloomwood, l’héroïne de la série de romans Confessions d’une accro du shopping de Sophie Kinsella, vous avez des tonnes de vêtements et une centaine de paires de chaussures. Mais attention à ne pas faire les mêmes erreurs qu’elle. En effet, Sophie Kinsella nous dépeint, dans sa série à succès Confessions d’une accro du shopping, une jeune femme qui a du mal à résister aux plus grandes marques, c’est une acheteuse compulsive qui possède de nombreuses cartes de crédit et, malheureusement pour elle, ses achats à répétition vont la mettre dans le rouge niveau financier avec un découvert de plus de 9000 dollars. Situation que l’on peut trouver très ironique une fois que l’on sait qu’elle travaille en tant que journaliste pour un magazine économique. Cette jeune héroïne un peu déjantée va connaître un grand nombre de situations cocasses qui arracheront un sourire à plus d’une lectrice. Becky est un personnage auquel on s’attache très vite, même si elle peut paraître un peu superficielle au début, on découvre vite au fil des pages sa vraie personnalité et la vulnérabilité qui se cache derrière son sourire. Les autres personnages, moins développés, n’en sont pas moins attachants ; ils ont leur propre personnalité et permettent ainsi aux lectrices de s’identifier à eux ou de reconnaître en eux un proche, comme ça peut être le cas avec la meilleure amie de Becky : Suze, qui avec sa capacité à aider son amie et son caractère enjoué font qu’on peut facilement retrouver en elle la meilleure amie qu’on a toute depuis le collège et qui est toujours là pour partager des fous-rires avec nous. L’humour très girly présent dans ces livres fait qu’ils sont très faciles à lire, Sophie Kinsella rajoute aussi une pointe d’ironie ce qui donne des livres très drôles et légers, on a la garantie de passer un bon moment de lecture que ce soit dans le train ou vautré dans notre lit.

En 2009, le personnage de Rebecca Bloomwood est porté à l’écran par le réalisateur P.J. Hogan. Même si les livres sont un succès, leur adaptation a connu des critiques assez mitigées, voire parfois négatives. C’est l’actrice Isla Fisher qui joue le rôle principal. L’histoire reprend globalement celle des livres malgré quelques modifications, et grâce à son casting talentueux, reste très agréable à regarder.

Le Diable s’habille en Prada

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Maintenant qu’il a été confirmé que nous étions toutes des accros du shopping, passons à une autre activité que nous aimons tout autant que le shopping : lire des magazines de mode. Nous sommes plus d’une à feuilleter quelques magazines pour s’informer des dernières tendances, que l’on assume ou non, on a toutes à un moment donné de sa vie jeté un œil aux pages remplies de conseils vestimentaires ou de photos de mannequins aussi épaisses que des cure-dents habillés à la dernière mode. Mais qui sont celles et ceux qui travaillent dans ces grands magazines ?

La réponse à cette question peut se trouver dans le roman de l’Américaine Lauren Weisberger, Le Diable s’habille en Prada. Sorti en 2003, ce roman nous raconte l’histoire d’Andrea Sachs, jeune diplômée tout juste sortie de l’université qui se retrouve propulsée dans le magazine de mode Runway lorsqu’elle devient l’assistante de la tyrannique rédactrice en chef Miranda Priestly. Ce roman connaît très vite le succès, surement dû à la ressemblance troublante avec la vie de l’auteur. En effet, Lauren Weisberger a travaillé chez Vogue en tant qu’assistante de la rédactrice en chef Anna Wintour. Cette dernière avait d’ailleurs émis l’hypothèse qu’elle avait inspiré le personnage de Miranda, ce que l’auteur a nié. Ce roman drôle et léger nous plonge dans les coulisses d’un magazine de mode et nous livre une vision assez satirique de la vie de bureau et de New York. Le choix du décor a surement fait rêver plus d’une lectrice et la ressemblance avec le célèbre magazine Vogue est certes apprécié mais cette référence n’est là que pour attiser notre curiosité. Lauren Weisberger nous donne dans ce roman le portrait d’une femme de pouvoir tyrannique et richissime qui se trouve être aussi fascinante qu’énervante. Le personnage de Miranda fait régner la terreur au sein de sa rédaction et on peut d’ailleurs se rendre compte que les autres rédacteurs et rédactrices la détestent et l’admirent sans toutefois l’admettre. Ses caprices, que sa pauvre assistante doit satisfaire, donnent de quoi rire. Le Diable s’habille en Prada est donc sans aucun doute un roman qu’on a plaisir à lire et avec lequel on passe un bon moment.

Le roman à succès de Lauren Weisberger a d’ailleurs eu droit à son adaptation au cinéma en 2006 avec, dans les deux rôles principaux, les actrices Anne Hathaway et Meryl Streep. Grâce notamment à son casting mais aussi par une adaptation fidèle du livre original, le film connaît un grand succès que ce soit au niveau national ou international. Le talent de Meryl Streep n’est d’ailleurs plus à vanter tant il est indéniable ; quant à Anne Hathaway qui débutait tout juste sa carrière au moment du film, elle a connu à la suite de ce film de nombreux autres succès, ce qui fait d’elle l’une des meilleures actrices d’Hollywood.

Le Diable s’habille en Prada a d’ailleurs connu quelques parodies et hommages, notamment avec la célèbre série d’animation Les Simpson qui parodie le film dans l’épisode 5 de la saison 21 intitulé Le diable s’habille en nada ou encore plus récemment avec le rappeur français Soprano qui sort en 2016 une chanson appelée Le diable ne s’habille plus en Prada.

Pour finir, si vous êtes en manque de vêtements mais que vous ne pouvez pas vous le permettre, au lieu d’augmenter la taille de votre découvert en allant quand même faire du shopping, posez-vous plutôt sur votre canapé ou dans votre lit, et prenez un instant pour lire l’un de ces romans, ou regarder leur adaptation. Faites-nous confiance, votre porte-monnaie vous remerciera.

Léonore Boissy

Jade Tigana, « L’autre, ce voyageur »

Jade Tigana, gagnante de la deuxième Veillée Poétique de la saison

Jeudi dernier à eu lieu la deuxième Veillée Poétique de la session 2016-2017 qui a regroupé une quarantaine d’amateurs de poésie dans une ambiance sympathique et enjouée. C’est dans cet enivrement d’émotions, de jolis mots et de cookies qu’un poème préféré a été choisi : L’autre, ce voyageur de Jade Tigana. Ce fut alors une double victoire pour la jeune étudiante qui diffusait ses poèmes pour la première fois dans un événement public, puisqu’elle a également remporté la mention « coup de cœur » des organisateurs de l’événement, plus tôt dans la semaine.

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L’approche Littéraire de Jade

Jade Tigana, étudiante en Lettres Modernes, est passionnée de littérature depuis toujours. Bien qu’elle se soit longtemps intéressée au théâtre, qu’elle pratiquait avant son arrivée à Lyon, la plume poétique est ce qui a toujours le plus exalté l’intérêt de la jeune femme, l’ayant expérimentée très jeune :  « J’ai commencé à écrire quand j’avais dix ans, c’était une sorte d’échappatoire, un moyen de me sentir mieux quand j’étais triste, aujourd’hui c’est une passion ». À cette époque elle écrivait des vers, puis peu à peu son écriture a évolué vers la prose, qui compose la majorité de ses poèmes aujourd’hui, pour aller vers un format de nouvelles si son projet aboutit.

L’autre, ce voyageur

Je ne t’aurai jamais dévoilé les petites imperfections de mon être. Ces petites tâches sur mon chemisier, ce lacet déchiré sur ma chaussure, ce nœud papillon mal ajusté, cette cicatrice blanche sur mon épaule, toutes ces marques du passé, ou bien ces disharmonies du présent, je les aurai fardé, raccommodé, jusqu’au dernier pour ne pas ternir l’image que tu avais de moi. J’aurai porté ce masque, jour et nuit, jusqu’à ce que l’obscurité se fasse assez profonde, jusqu’à ce que le sommeil t’emporte, pour daigner le mettre de côté, là, sur la table de nuit, toujours à portée de main.

J’aimais à être ta poupée de cire, cette beauté figée, cette contenance à toute épreuve, qu’une brise de vent n’aurait guère ébranlée. Une âme délicate enveloppée dans un corps de soie, souviens toi de mon rouge à lèvre, jamais trop rosé, et toujours assez sucré. Celui-ci ne t’aurait jamais tâché, et mon parfum, de loin âpre, te berçait jusqu’au petit matin. J’avais le goût de l’harmonie, une musicienne ayant si bien accordé ses cordes..

J’étais ce mannequin d’osier, cette effigie de verre, qui s’efforçait jour après jour, de briller à tes yeux, d’exceller aux yeux du monde, et pour ce, j’aurai arboré mon corps, de toutes les parures de l’univers.

Quelques années après, la vie m’ayant donné une leçon, m’apprit à me mettre à nu et à dévoiler mes artifices. Mes cicatrices sont désormais à vif, quoique moins voyantes, et j’aime à être débraillée, à afficher une simplicité, à mal raccommoder ma cravate, à laisser tomber mon béret sur mon front. Cela me rend plus vrai, cela me procure des sursauts de vie, une vie au cours de laquelle nous sommes quelquefois maladroits, mais de ces maladresses qui nous attendrissent, «  tiens, il te reste du dentifrice au coin des lèvres », quoi de plus humain, que de laisser des traces de nous, des traces du monde, sur le petit bout de son nez, au recoin de son être.

Quelquefois cependant, cette poupée d’autrefois, me revient en tête, avec tous ses charmes, avec toute cette pureté, avec cette perfection maladive qu’elle exhibait. Si je ne suis plus celle-ci, je suis encore son souvenir, et quand j’y pense, ce ne sont pas de ces douleurs qui oppressent l’âme, ce sont de ces douleurs qui nous font respirer un peu plus vite, penser un peu plus fort, écouter cette musique un peu plus longtemps, et se sentir un peu plus vivant. Il est des personnes dans nos vies, qui sont comme ces passagers dans le train. Ils montent dans ce wagon, brûlant d’impatience, dévorant le paysage qui défile sous leurs yeux. Plusieurs arrêts passent, les regards se croisent, les vies s’entremêlent. Puis, le trajet, plus ou moins long, prend fin. Les voyageurs descendent du train, quelquefois fatigués de la traversée, d’autres fois soulagés.

Ce train, c’est notre histoire, à toi, à moi, à vous. Ces voyageurs, ce sont ceux qui ont plus que glissés dans nos vies, ils s’y sont accrochés avec ferveur, et tellement vite, qu’ils ont oublié une partie de leur bagage. Ces bagages, ce sont la charge de souvenirs qu’ils nous ont laissé, cette puissance émotionnelle qui, des mois comme des années après, nous inonde encore de son parfum suave, de ses baisers, échangés au recoin de la gare, voie A, au détour d’un couloir, derrière cette porte, à la sortie du cinéma, sous le lampadaire rue de l’Argenterie, furtivement, sous ces draps de miel, et désormais, au travers ce rêve, derrière ce passé, et pourtant, sur le chemin du présent.
Vous êtes ces voyageurs d’autrefois et qui, cependant, nous traversent encore.

Jade Tigana

 L’approche poétique

Jade Tigana

Le poème L’autre, ce voyageur est la comparaison de deux relations que le narrateur a eu. L’une où il n’est pas lui-même, inexistant : une parfaite « poupée de cire » et l’autre où le narrateur laisse ses défauts s’épanouir, ce qui le « rend plus vrai » et anime sa vraie personne.

Ce poème magnifique porte sur l’amour comme beaucoup d’autres poèmes de la jeune écrivaine. Celle-ci explique que l’amour est une source inépuisable d’inspiration mais qu’elle aime aussi s’inspirer des thèmes du quotidien, du non-exceptionnel (« tout est éligible dans l’art ») mais surtout dans ses expériences personnelles bien qu’elle avoue avoir peur que les gens dont elle parle dans ses écrits se reconnaissent. Ceci n’empêche pas le lecteur de s’identifier au poème : la question de l’amour touche tout le monde, ses poèmes ont « un rapport à la fois personnel et universel, on parle de soi mais aussi de l’autre ». Le but est que chacun se reconnaisse, s’identifie dans ses poèmes et ne se sente pas isolé dans ses sentiments.

En savoir un peu plus sur Jade

En plus d’être étudiante, Jade fait partie d’une équipe de foot à Lyon, est modèle photo et fait du baby-sitting. C’est le soir, suivant son rituel d’écriture, que la poétesse travaille, isolée dans une pièce au calme pour les premiers jets de sa prose, qu’elle reprend le lendemain pour peaufiner ses petites œuvres. Son ambition est de devenir éditrice et de publier un recueil afin de continuer à partager sa poésie.

En attendant , ses poèmes sont accessibles sur sa page We<3Words : http://welovewords.com/jade-tigana.

Crédit photo : Émmanuelle FRÉGET : www.emmafreget.com

Noémie Bounsavath