Pot-pourri ou l’impossible tas

Herbert James Draper-Pot-pourriLes grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. Blog récent, sur lequel fleurissent chaque mois de nouvelles vignettes, Pot-pourri est sa propre définition : un compost. Vaste costume d’arlequin en confection, il rassemble des teintes inégales. Mais la cacophonie révèle bientôt l’écho d’une musique plus vaste, nouvelles voix de l’écriture qui impriment leurs nuances sur la Toile.

Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres
Gérard de Nerval, « Vers dorés ».

« Pot-pourri » : parfums artificiels, enchaînement dissonant, cacophonie d’odeurs bâties sur un puzzle désassemblé… Le titre est modeste mais les quarante-deux vignettes laissent le lecteur sur sa faim. Loin de masquer les effluves renfermées du monde dans lequel nous vivons, ce Pot-pourri dessine les contours d’une réalité nouvelle, monde à part ou fuite artificielle vers un univers composite recouvert de mots. Poèmes, phrases, pensées, dialogues… sont le dallage d’une bâtisse qui s’élève vers le ciel ; c’est l’intérêt même de ce blog qui restera sans faîte.

À force de pudeur, il finira par écrire avec sa gomme.

Claude Monet-Femme à l'ombrelle tournée vers la gauchePassés les petits jeux rhétoriques, aphorismes et autres déclinaisons grammaticales « canines », on trouve parfois une fleur fraîche au milieu des fleurs sèches. C’est le parfum capiteux d’une démone qui a pour tout sourire « deux cicatrices comme des parenthèses taillées par le couteau. » C’est le besoin « d’Écrire pour toucher son corps avec cette peau que sont les autres. »

Tout doucement… la voix du poète se fait entendre. D’abord discrète, presque silencieuse, elle s’affirme peu à peu et révèle au monde la gamme envolée de ses doigts. Instinct jeune, qui souffle vers une beauté noble de la poésie. Cette noblesse est nourrie par un sang pluriel, puisque l’intérêt des vignettes réside dans leur multiplicité. Fourmilière de mots qui regroupe un infini d’individus poursuivant une voie identique. Organismes autonomes qui comme la physalie appartiennent au même corps. Pot-pourri répond à la mission que Francis Ponge prêtait à l’artiste : « ouvrir un atelier et y prendre en réparation le monde, par fragments, comme il lui vient. »

L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés
Mallarmé, Crise de vers.

Dépassons les références et autres réécritures que rencontrent parfois les vignettes de ce blog. Pot-pourri est l’annonce d’une écriture nouvelle. Car une question subsiste : qui en est l’auteur ? Est-il un ? Est-il plusieurs ? Internet : notre nouvel Homère. Il avance ses maximes à l’aveuglette et fait entendre sa voix par-delà les axes du temps et de l’espace. Quel ordre ou quelle anarchie pousse toutes ces plumes à garder l’anonymat ? Pas d’auteur. Pot-pourri est ainsi amené à se perpétuer sans fin.

Robert Delaunay-Femme portugaiseDe cette façon, le blog dépasse les limites matérielles du livre, acquiert une indépendance nouvelle. Fenêtre ouverte sur le monde, Internet l’inscrit dans un espace publique, accessible à tous ; l’auteur (ou les auteurs) est dépossédé de son œuvre. C’est un don, la beauté destinée à ceux qui aiment la beauté.

« Dans le ventre de ma mère, j’écrivais énormément. Des pastiches, surtout. » Ce sont les premiers mots plongés dans le Pot-pourri. Mais du pastiche, la voix qui imite s’éloigne lentement de ses maîtres, elle se dénude, s’expose, pour se donner entière à une oreille, nos oreilles.

Voilà ta vraie naissance :
Parler des mots pour une oreille

Ces mots, tirés de la dernière vignette, esquissent une poésie nouvelle, rhizome des cœurs par-delà les écrans, canal vers un ordre nouveau, qui nourrit l’esprit de l’homme, suivant les termes de Ponge, « en l’abouchant au cosmos. »

Internet diffuse, il n’anéantit pas. Pot-pourri nous rappelle qu’il faut oser écrire comme il faut oser vivre. Plus qu’il ne fuit, l’indésigné s’affirme, il existe. Il existe par les mots, et plus que dans les mots.

David Rioton

Toutes les citations, excepté lorsque l’auteur est mentionné, sont tirées de www.pot–pourri.tumblr.com