Mexico City Blues : Kerouac ou le génie méconnu de la poésie américaine

« Je veux être considéré comme un poète de jazz soufflant un long blues au cours d’une jam session un dimanche après-midi. Je prends 242 chorus ; mes idées varient et parfois roulent de chorus à chorus ou du milieu d’un chorus jusqu’au milieu du chorus suivant. » Jack Kerouac a la qualité d’être un homme de lettres à la plume directe et franche. Icône de la beat generation, mouvement artistique et littéraire américain des années 40 à 60, ce franco-canadien est un touche à tout : matelot, cueilleur de coton, déménageur, manœuvre à l’envi, il devient célèbre en 1957, à 35 ans, avec son roman révolutionnaire On the road. Dès 1950, il met en place une technique innovante, la littérature de l’instant, une démarche bouleversante de sensibilité et de subtilité littéraire qui accompagnera ses œuvres jusqu’à sa mort prématurée en 1969. Composé de 242 « méditations sensorielles » ou chorus poétiques, Mexico City Blues est un recueil écrit sur un simple carnet de notes, sur les trois semaines d’août 1955, dans un contexte idéal pour cet amoureux de l’improvisation.

Fragments d’un anticonformiste généreux et générateur de spontanéité

Casser les codes de l’American Way of Life à travers la drogue, l’alcool et le sexe est un des principes essentiels de Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs, le trio infernal de la beat generation. Malgré les difficultés d’être édité aux États-Unis, Kerouac est fidèle à sa personnalité complexe et hypersensible : animé par le scandale et le bouddhisme, cet homme au caractère atypique est en perpétuel mouvement. Tant qu’il se passe quelque chose d’inédit ailleurs, il aura toujours une raison pour partir sur la route, et sera le cas en août 1955.

Après avoir écrit On The Road, il abandonne New York et part pour le Sud, à Mexico, puis il loue une chambre dans le même immeuble que William Garver, un vieux érudit morphinomane pour qui il voue une admiration sans borne. Du monologue incessant de l’historien et anthropologue naissent ses rêveries musicales aux rythmes et aux compositions multiples. Le poète et traducteur Pierre Joris, en introduisant ce concert marqué par les grands du jazz, rappelle la vision de Jack Kerouac sur la poésie : cela doit venir des profondeurs de l’individu, il ne doit plus y avoir de règles littéraires, grammaticales et syntaxiques, le poème peut être un monologue intérieur non loin de celui de Marcel Proust afin raconter authentiquement l’ histoire du monde.

« 79e chorus »

Histoire de quoi ?

(Histoire d’enfance)

En descendant

le boulevard

Contemplant le suicide

Je me suis assis à une table

Et à ma grande surprise

Mon ami faisait l’idiot

à une table

Et à haute voix

Et voici le résultat

De ce qu’il dit.

Faites votre choix

Finit dans une situation

Tellement fâcheuse

Vous n’saurez quoi faire

de vous-mêmes

Vivre ou Mourir

Un cri de joie, de tristesse et de folie pour honorer l’invention perpétuelle

Allen Ginsberg qualifie ce recueil de « poésie improvisée »  marqué par l’équilibre entre la discipline et la spontanéité, deux conditions inspirées par ses héros du jazz, Bud Powell, Lester Young et Charlie Parker. Le bouddhisme occupe également une place non négligeable, exposant les Vérités de cette religion, à savoir la question du vide et du rien dont sont composés les choses selon la loi du Sutras.

Ouvert à toutes les sensations, toutes les vérités possibles, Kerouac veut sonder entièrement l’Américain de son temps : que l’écriture soit frénétique, légère, marquée par des mots en majuscules ou foisonnante, la spontanéité reste l’essence même des mots sortis de ses expériences et de ses rêves.  Il se revendique autodidacte et affirme que la puissance de la poésie réside dans sa non-scientificité : seule la déclaration du poète détermine le rythme du poème, cela peut être des vers séparés comme une simple ligne de prose. L’auteur souligne alors la chose suivante : «  il faut donc qu’il n’y ait pas d’équivoque concernant la déclaration, si vous pensez que cela n’est pas difficile à faire, essayez donc. ».

Ce recueil est né pour être partagé sur des sujets triviaux comme politiques, romantiques comme mélancoliques : Mexico City Blues concentre la vie sous toute sa splendeur et sa laideur, son actualité fait écho à la nôtre qui n’est pas encore marquée par un nouveau souffle d’inventivité artistique. Ainsi, sous la plume et la voix amicales et sincères de cet autodidacte truculent, la liberté de voyager et de s’exprimer deviennent indispensables pour tout bon sensible qui se respecte.

Gwen T.

L’invasion des super-héros

super héros

« Être un super-héros et élever une fille de neuf ans, ça peut être compliqué, parfois… voire dangereux ! Parce que Cassie m’aurait sûrement tué si je n’avais pas réparé sa poupée Rom comme je l’avais promis ! » Ant-man (tome 2), de Stan Lee.

Depuis quelques années, nos écrans se trouvent envahis par un étrange phénomène : la mode des super-héros. Qu’ils viennent de l’univers de Marvel ou de celui de DC comics, les super-héros sont partout et sous toutes les formes, que ce soit en films ou en séries. Depuis le succès du premier film Iron Man en 2008, où l’on peut – entre autres – voir les talents d’acteur de Robert Downey JR. dans le rôle principal, les deux géants des BD de super-héros ne cessent de nous submerger d’adaptations cinématographiques et séries de leurs meilleurs héros. Qu’ils volent, qu’ils lancent des flèches ou un marteau ou qu’ils se baladent la nuit vêtus d’un costume noir de chauve-souris, on ne peut plus allumer notre télé sans apercevoir le bout d’une cape rouge ou une toile tissée par une araignée humaine. Essayons donc ensemble de faire le tri parmi ce trop-plein de muscles et de testostérone.

L’univers Marvel

C’est en 1939 que tout commence avec la création de Marvel Entertainment par le fameux Martin Goodman. Cette société de médias américains compte parmi ses filiales les entreprises Marvel Comics, à qui l’on doit toutes les BD, et Marvel Studios, qui s’occupe bien entendu de porter à l’écran les aventures des personnages créés entre autres par le très célèbre Stan Lee. Depuis 2009, Marvel est devenu l’une des filiales de la Walt Disney Company, super-héros et princesses Disney sont dès lors liés.

Comme vous l’avez sans doute compris, super-héros est le mot clé ici et Marvel en possède un grand nombre. Car l’on ne trouve pas moins de 5000 personnages dans cet univers, d’Iron Man à Captain America en passant par les X-Men et les 4 Fantastiques. Un grand nombre d’entre eux viennent de l’imagination de Stan Lee (scénariste) et du dessinateur Jack Kirby.

Beaucoup de ces héros ont d’ailleurs eu droit à leur film solo ou en groupe. Depuis 2008, ce sont plus de six héros qui ont eu le droit à leur propre film pour ensuite participé à une aventure en groupe. En effet, pour annoncer le film The Avengers, le groupe Marvel avait offert à Iron Man, Captain America et Thor leur propre film pour ensuite les réunir en une super équipe, avec en plus les deux agents du S.H.I.E.L.D dont la réputation n’est plus à faire, j’ai nommé l’agent Natasha Romanoff (la Veuve Noire) et l’agent Clint Barton (Œil de Faucon). Mais ces films qui réunissent plusieurs héros permettent aussi à Marvel d’introduire de nouveaux héros, comme ce fut le cas avec Captain America : Civil War qui leur a permis d’annoncer le nouveau remake du très célèbre Homme Araignée.

De plus, comme si nous n’étions déjà pas assez perdus avec tous ces films et ces héros différents, il faut savoir qu’il y a une chronologie, un ordre de visionnage de ces films. Ainsi, on ne peut pas regarder Captain America puis Captain America 2, au contraire, après les aventures du premier des Avengers, il faut regarder Iron Man 1 puis Iron Man 2. Heureusement pour nos pauvres petites têtes qui auraient du mal à suivre, la liste de l’ordre de visionnage se trouve très facilement sur internet.

Et comme si ce n’était pas assez compliqué comme ça, si vous aimez la saga des héros Avengers, vous devez ajouter à cette ordre de visionnage la série télé Marvel Agents of S.H.I.E.L.D, débutée en  2013. En effet, les derniers épisodes de la saison 1 coïncident avec les événements du second film sur les aventures de Captain America. Au point où on en est, il faudra bientôt bac +5 pour pouvoir profiter correctement des aventures de nos héros préférés.

J’espère que vous suivez toujours et que vous n’êtes pas encore trop perdus, car l’on va maintenant s’attaquer au second grand groupe responsable de cette vague de héros.

Le phénomène DC Comics

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Appartenant à la Warner Bros Company, DC Comics est créé en 1935 par Malcom Wheeler-Nicholson. Et leurs héros sont tout aussi nombreux et différents que ceux de l’univers Marvel. En effet, le géant des comics compte parmi ses rangs Superman, Batman, Arrow ou encore Flash.

Du côté des adaptations, DC Comics n’a rien à envier à ses concurrents. On ne compte plus les adaptations de Superman ou Batman qui ont su toucher un grand nombre de spectateurs de tout genre et de tout âge.

Mais c’est plutôt du côté des séries télé que DC connaît, depuis 2012, un grand succès. En effet, c’est en 2012 que la série Arrow est lancée. Dès son lancement, cette série a su fidéliser un grand nombre de spectateurs qui sont nombreux à se retrouver devant leur télé ou leurs écrans d’ordinateur pour suivre les aventures de celui que l’on surnomme l’« Archer vert ». La série connaît un tel succès qu’elle ouvre la porte à d’autres séries, des spin-off avec notamment les séries Flash, Supergirl ou encore DC Legend of Tomorrow. Les personnages de ces séries ne cessent d’ailleurs pas de se rencontrer dans leurs séries respectives.

Encore une fois, un ordre de visionnage est instauré et il est d’ailleurs préférable de le suivre si l’on ne veut pas se spoiler par erreur, car ici il n’est pas question de suivre les séries individuellement saison après saison mais plutôt de les suivre au fur et à mesure, épisode après épisode et en même temps.

Et voilà, nous sommes enfin arrivés à la fin de ce méli-mélo de super-héros. En espérant que cela vous ait donné envie de vous lancer dans la lecture et peut-être même la collection de comics, et bien sûr comme d’habitude pour celles et ceux qui auraient la flemme ou pas assez de temps pour lire les BD, sachez que les séries comme les films valent vraiment le coup d’œil.

Léonore Boissy

L’Arabe du futur : quand le rire et la sensibilité d’un enfant détruisent les frontières entre les nations

Fauve d’or du meilleur album 2014 au Festival international de la BD d’Angoulême, phénomène éditorial, série incontournable… nombreuses sont les éloges faites à Riad Sattouf et à son œuvre à succès depuis 2014, L’Arabe du futur, une jeunesse au Moyen-Orient. Trouver les tomes 1 et 2 était loin d’être facile, la faute à l’actualité bouillonnante et désastreuse mais aussi au bouche à oreille enthousiaste des lecteurs de tout âge et de tout horizon. Depuis leur parution, ses bandes-dessinées ont été vendues à plus d’un million d’exemplaires dans le monde et traduites dans dix-sept langues : Riad Sattouf a bel et bien réussi à faire (re)découvrir la bande-dessinée aux plus récalcitrants. Retour sur un roman graphique autobiographique d’un gamin syrien et breton de 1978 à 1985.

L’épatante mémoire d’un ancien blondinet dans la Lybie de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Assad

Dès la première page du premier tome, le petit Riad aux cheveux d’or réussit à nous conquérir avec une aisance déconcertante. On se détache très difficilement de ce garçon sensible et admiratif de son père, un docteur en Histoire idéaliste mais contradictoire qui souhaite ardemment contribuer à éduquer l’Arabe d’aujourd’hui pour créer l’Arabe de demain. De là naît l’expression « l’Arabe du futur », un individu libre de l’influence des Américains et des Russes. La famille Sattouf, en particulier le père, espère vivre avec prospérité malgré les débuts de vie difficiles en Lybie, où les logements n’ont pas de serrures et où les denrées alimentaires sont restreintes. Riad est très réceptif face aux tensions, aux ambiances nouvelles qu’il découvre depuis ses premiers pas en France à sa socialisation en Lybie, et surtout en Syrie, à Ter Maaleh, le village de la famille Sattouf : dans une narration fluide et efficace, on suit une voix off, celle du dessinateur aguerri, qui questionne ou explicite davantage les propos des protagonistes avec subtilité. Bien que les dialogues et le rythme soient le produit de la créativité du bédéiste, la part du réel, issue de la seule mémoire de l’enfant, constitue la majorité du support narratif de ces chroniques.

Sa naïveté éblouissante fait écho à n’importe quel enfant, même si on n’a pas forcément connu la « honte » de parler arabe devant des inconnus français de peur de faire des bruits de « vomissements », si l’on suit le raisonnement du petit Breton syrien. Cette plongée dans les souvenirs n’est jamais ennuyeuse car elle retransmet des détails hilarants, dégoûtants ou délicieux, et très marquants, dans lesquels on peut se reconnaître : on ne se sent pas voyeuriste mais lecteur, spectateur et auditeur accueilli avec sympathie. Rien ne peut nous échapper grâce aux précisions – littéralement écrites sur des détails graphiques – voulues par l’auteur : les bananes à foison, mûres ou non, englouties avec appétit par Riad, les poitrines basses des femmes de Jersey, la représentation de Dieu en la personne de Georges Brassens, les mollets impressionnants de son institutrice cruelle, ou encore les doigts d’honneur hilarants des petites filles à l’égard des garçons.

Le trait se veut expressif à souhait, pour mieux communiquer ses expériences : le regard autoritaire ou honteux de son père peinant à devenir maître de conférence, la fatigue et la lassitude de sa mère, « les grimaces incroyables » d’une fille, « l’air le plus pervers qui soit » du fils du cousin général sont dessinés avec simplicité et nuance, ce qui rend leurs expressions captivantes et faciles à mémoriser. Les faits et gestes restent dans l’imaginaire et l’interprétation de cet enfant doué pour dessiner un certain Pompidou, on ne tombe pas dans l’exagération ou la surenchère des bons et mauvais moments de l’enfance. Le changement géographique s’associe naturellement à une couleur : le jaune de la Lybie contraste avec le bleu de la France, pour mieux symboliser le déracinement, tout comme le rose de la Syrie. L’œil de lynx de Riad Sattouf, associé à sa malice et son souci de transmettre, permet ainsi une description pointilleuse, légère et véridique de ses sept premières années de sa vie.

Une enfance particulière rattachée aux actualités : une autre vision éclairante des liens entre les sociétés syrienne, lybienne et française

La guerre civile syrienne, débutée en 2011, a été l’élément déclencheur du travail intense fourni par Riad Sattouf pour L’Arabe du futur : en cherchant à aider, avec difficulté, une partie de sa famille non loin de Homs à immigrer en France, il décide de raconter son parcours, ses observations et expériences depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui. Il choisit alors de faire ce travail d’introspection et de recherche d’anecdotes croustillantes en cinq tomes, le troisième étant paru en octobre 2016. À travers les ressorts de la saynète ironique, Riad s’interroge avec profondeur sur la virilité, les rapports femme-homme et la violence présente en salle de classe ou dans la cour de récréation. Même les insultes, les plus stigmatisantes et graves qu’il soit, sont traitées avec humour et intelligence : «  »yahoudi » signifiait  »juif » et c’est le premier mot que j’ai appris en arabe syrien », une insulte dont il fait l’objet en raison de ses cheveux blonds.

La figure du père, Abdel-Razak, est traitée avec clairvoyance et finesse : sans condamner directement ses arguments d’autorité, son rejet de la démocratie et de la liberté ou son adhésion à la peine de mort, l’auteur s’attache à refléter le mieux possible le rapport père-fils tel qu’il l’a perçu. Les difficultés du père à devenir millionnaire, à posséder une Mercedes et une superbe villa annoncent des déceptions et des désillusions pour créer les États-Unis arabes. Ce malaise à l’égard d’Abdel-Razak est-il volontaire ? Riad Sattouf préfère laisser le lecteur libre dans ses jugements.

L’Arabe du futur présente donc deux sociétés du Moyen-Orient avec leurs failles, leurs dérives – dues à des systèmes dictatoriaux – mais il montre également leurs points communs avec la société française avec un rire bienveillant. Les écoles d’Europe et du Moyen-Orient sont toutes deux des tremplins sociaux et les rapports entre les filles et les garçons sont hostiles sur les deux continents pour ne citer que ces exemples. Au vu de l’état actuel très critique de la Syrie et de la Lybie, Riad Sattouf nous offre donc une vision microsociale et politique du Moyen-Orient et de ses liens avec la France sur un style poétique, drôle et intelligent. À l’image de Maus d’Art Spiegelman et de Persepolis de Marjane Satrapi, L’Arabe du futur abolit les frontières entre dessin et littérature avec brio pour mieux nous interroger sur nos relations internationales avec cette région du monde si proche de nous. En bref, il est urgent de retourner en enfance et voyager en compagnie du joyeux et attachant Riad.

Gwen T.

Une écriture d’arbre, par Didier Van Cauwelaert

Le Journal Intime d'un Arbre

Les arbres sont des piliers du monde et des joyaux de l’univers. Presque immortels, ce sont des sentinelles immobiles, des acteurs du temps essentiels à la vie. À la fois poumons de la planète et asile du vivant, ce sont des symboles universels de vie, d’amour et de force. C’est ainsi que Didier Van Cauwelaert a imaginé greffer une conscience et des sentiments presque humains à cette toute puissance hiératique dans son livre Le journal intime d’un arbre, qui fut publié en 2011.

Quelques mots sur l’auteur

Didier Van Cauwelaert est un écrivain français né dans les années 60 et passionné d’écriture depuis son plus jeune âge. C’est un auteur très productif qui s’affirme dans de nombreux genres ; il a effectivement écrit de nombreuses nouvelles, une vingtaine de romans mais s’est aussi essayé au théâtre et au cinéma. Il a remporté de nombreux prix parmi lesquels figure le prix Goncourt (1994) pour son roman Un aller simple.

Le livre

Le journal intime d’un arbre est le récit des pensées de Tristan, un poirier tricentenaire. C’est une double histoire qui commence lorsque Tristan s’effondre après une tempête. Contre toute attente, sa conscience survit grâce à des fragments de lui-même qui lui servent d’enveloppe corporelle : des bûches destinées à brûler dans la cheminé de son propriétaire, la statue faite par une petite fille dans son bois, les pensées et les sens de Tristan vagabondent ainsi entre bûches et statue. Cette omniscience le rend témoin de l’histoire du présent, avec celle de Tristane (la sculptrice) et de Yanis ; ainsi que de celle du passé, grâce à ses 300 années de souvenirs. C’est donc à travers les yeux critiques et tolérants d’un arbre qu’on découvre les mœurs plus ou moins acceptables de l’Homme : l’amour, la guerre, la dépression, la joie, la tristesse et toutes ces choses si humaines. Tristan comme l’humain ressent, comprend et a un avis sur chaque événement dont il est témoin, mais ne peut fatalement pas agir sur le cours des choses puisqu’il est malgré lui une conscience figée.

Quelques critiques

Ce roman est un livre formidable qui a été sujet à quelques éloges de la part de personnalités littéraires et de la critique, notamment pour sa profondeur et sa façon de raconter une histoire d’amour plutôt anodine à travers les yeux d’un arbre. De fait, Edmonde Charles-Roux, romancière et membre de l’Académie Goncourt, a qualifié le roman d’ « admirablement drôle et malicieux, tendre mais instructif… » ; et François Busnel, critique littéraire pour l’Express, a avoué avoir fait « un séduisant voyage dans la conscience d’un arbre ». Alors, si ce roman a su conquérir de nombreux lecteurs, j’espère que vous également vous plongerez dans ce petit roman délectable et plein de surprises !

Noémie Bounsavath

Quand la mode s’invite dans la littérature

« La mode n’est ni morale, ni amorale, mais elle est faite pour remonter le moral. » – Karl Lagerfeld.

En cette période de soldes, on ne peut s’empêcher de parler de l’un des passe-temps préférés des femmes en plus de faire la tête, le shopping. Activité qui consiste à rentrer dans un grand nombre de magasins, généralement de vêtements, et qui se pratique seule ou en groupe. Les femmes qui pratiquent cet exercice savent à quel point il est difficile de résister quand un vêtement qui nous plaît nous fait de l’œil et ce même si notre compte en banque ne nous permet aucun écart de conduite. Et si malheureusement vous craquez malgré cela et que votre armoire est pleine, il est possible que vous soyez une shopaholic : une accro du shopping.

Confessions d’une accro du shopping

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Tout comme Rebecca Bloomwood, l’héroïne de la série de romans Confessions d’une accro du shopping de Sophie Kinsella, vous avez des tonnes de vêtements et une centaine de paires de chaussures. Mais attention à ne pas faire les mêmes erreurs qu’elle. En effet, Sophie Kinsella nous dépeint, dans sa série à succès Confessions d’une accro du shopping, une jeune femme qui a du mal à résister aux plus grandes marques, c’est une acheteuse compulsive qui possède de nombreuses cartes de crédit et, malheureusement pour elle, ses achats à répétition vont la mettre dans le rouge niveau financier avec un découvert de plus de 9000 dollars. Situation que l’on peut trouver très ironique une fois que l’on sait qu’elle travaille en tant que journaliste pour un magazine économique. Cette jeune héroïne un peu déjantée va connaître un grand nombre de situations cocasses qui arracheront un sourire à plus d’une lectrice. Becky est un personnage auquel on s’attache très vite, même si elle peut paraître un peu superficielle au début, on découvre vite au fil des pages sa vraie personnalité et la vulnérabilité qui se cache derrière son sourire. Les autres personnages, moins développés, n’en sont pas moins attachants ; ils ont leur propre personnalité et permettent ainsi aux lectrices de s’identifier à eux ou de reconnaître en eux un proche, comme ça peut être le cas avec la meilleure amie de Becky : Suze, qui avec sa capacité à aider son amie et son caractère enjoué font qu’on peut facilement retrouver en elle la meilleure amie qu’on a toute depuis le collège et qui est toujours là pour partager des fous-rires avec nous. L’humour très girly présent dans ces livres fait qu’ils sont très faciles à lire, Sophie Kinsella rajoute aussi une pointe d’ironie ce qui donne des livres très drôles et légers, on a la garantie de passer un bon moment de lecture que ce soit dans le train ou vautré dans notre lit.

En 2009, le personnage de Rebecca Bloomwood est porté à l’écran par le réalisateur P.J. Hogan. Même si les livres sont un succès, leur adaptation a connu des critiques assez mitigées, voire parfois négatives. C’est l’actrice Isla Fisher qui joue le rôle principal. L’histoire reprend globalement celle des livres malgré quelques modifications, et grâce à son casting talentueux, reste très agréable à regarder.

Le Diable s’habille en Prada

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Maintenant qu’il a été confirmé que nous étions toutes des accros du shopping, passons à une autre activité que nous aimons tout autant que le shopping : lire des magazines de mode. Nous sommes plus d’une à feuilleter quelques magazines pour s’informer des dernières tendances, que l’on assume ou non, on a toutes à un moment donné de sa vie jeté un œil aux pages remplies de conseils vestimentaires ou de photos de mannequins aussi épaisses que des cure-dents habillés à la dernière mode. Mais qui sont celles et ceux qui travaillent dans ces grands magazines ?

La réponse à cette question peut se trouver dans le roman de l’Américaine Lauren Weisberger, Le Diable s’habille en Prada. Sorti en 2003, ce roman nous raconte l’histoire d’Andrea Sachs, jeune diplômée tout juste sortie de l’université qui se retrouve propulsée dans le magazine de mode Runway lorsqu’elle devient l’assistante de la tyrannique rédactrice en chef Miranda Priestly. Ce roman connaît très vite le succès, surement dû à la ressemblance troublante avec la vie de l’auteur. En effet, Lauren Weisberger a travaillé chez Vogue en tant qu’assistante de la rédactrice en chef Anna Wintour. Cette dernière avait d’ailleurs émis l’hypothèse qu’elle avait inspiré le personnage de Miranda, ce que l’auteur a nié. Ce roman drôle et léger nous plonge dans les coulisses d’un magazine de mode et nous livre une vision assez satirique de la vie de bureau et de New York. Le choix du décor a surement fait rêver plus d’une lectrice et la ressemblance avec le célèbre magazine Vogue est certes apprécié mais cette référence n’est là que pour attiser notre curiosité. Lauren Weisberger nous donne dans ce roman le portrait d’une femme de pouvoir tyrannique et richissime qui se trouve être aussi fascinante qu’énervante. Le personnage de Miranda fait régner la terreur au sein de sa rédaction et on peut d’ailleurs se rendre compte que les autres rédacteurs et rédactrices la détestent et l’admirent sans toutefois l’admettre. Ses caprices, que sa pauvre assistante doit satisfaire, donnent de quoi rire. Le Diable s’habille en Prada est donc sans aucun doute un roman qu’on a plaisir à lire et avec lequel on passe un bon moment.

Le roman à succès de Lauren Weisberger a d’ailleurs eu droit à son adaptation au cinéma en 2006 avec, dans les deux rôles principaux, les actrices Anne Hathaway et Meryl Streep. Grâce notamment à son casting mais aussi par une adaptation fidèle du livre original, le film connaît un grand succès que ce soit au niveau national ou international. Le talent de Meryl Streep n’est d’ailleurs plus à vanter tant il est indéniable ; quant à Anne Hathaway qui débutait tout juste sa carrière au moment du film, elle a connu à la suite de ce film de nombreux autres succès, ce qui fait d’elle l’une des meilleures actrices d’Hollywood.

Le Diable s’habille en Prada a d’ailleurs connu quelques parodies et hommages, notamment avec la célèbre série d’animation Les Simpson qui parodie le film dans l’épisode 5 de la saison 21 intitulé Le diable s’habille en nada ou encore plus récemment avec le rappeur français Soprano qui sort en 2016 une chanson appelée Le diable ne s’habille plus en Prada.

Pour finir, si vous êtes en manque de vêtements mais que vous ne pouvez pas vous le permettre, au lieu d’augmenter la taille de votre découvert en allant quand même faire du shopping, posez-vous plutôt sur votre canapé ou dans votre lit, et prenez un instant pour lire l’un de ces romans, ou regarder leur adaptation. Faites-nous confiance, votre porte-monnaie vous remerciera.

Léonore Boissy

Le goût et l’odorat desprogiens : ode à la vie joyeuse et fantasque

Septembre 1984 : Cuisine et Vins de France, une revue bourgeoise, lue essentiellement par la gent masculine de catégorie socio-professionnelle de haut niveau, accueille Pierre Desproges en œnophile pour le moins impertinent à travers des chroniques culinaires. « Star du petit écran collaborant à Hara Kiri et contribuant au développement de l’humour caustique dans les chaumières » d’après Elisabeth de Meurville, « l’écriveur », qualification créée par lui-même, ne perd rien de sa verve et de son imagination foisonnante. En 2014, les Échappés ont eu l’excellente idée de réunir ses écrits en un seul volume, le bien nommé Encore des nouilles. Illustrées par les dessinateurs de presse de Charlie Hebdo, Cabu, Catherine, Charb, Luz, Riss, Tignous et Wolinski, ces chroniques ont de quoi vous donner une vision délicieusement anticonformiste de la gastronomie française.

L’univers desprogien au service du bon vin et de la bonne chère

Desproges est tout sauf un humoriste pédant moralisateur. Il le fait savoir dès sa première chronique en se définissant comme un gastronome approximatif. Mais il est franc et direct et son amour inconditionnel pour le vin français et pour les mets savoureux de tous horizons est tel qu’il est difficile de ne pas être convaincue par ses avis gastronomiques. L’aqua simplex le démontre bien : amateur de vin ou non, ce pamphlet hilarant a le pouvoir de rendre la consommation de l’eau dangereuse pour tout bon vivant qui se respecte. L’esprit de contradiction se mêle joyeusement à l’érudition folle de Desproges, ses chroniques testent notre capacité à s’étonner et à se moquer de nos habitudes culinaires et sociales.

Chaque écrit est précédé d’une citation de cet adepte de l’humour noir, à l’exemple de celui-ci : « Conseils de lecture : Faut-il euthanasier les aquaphiles ? aux Éditions Laffont-La caisse et La mort sort du robinet aux Éditions La France empire – La cirrhose aussi. » Ces répliques cinglantes et cruellement drôles sont issues de différents textes rédigés par l’écriveur : Chroniques de la haine ordinaire, Textes de scène, Le Réquisitoire du Tribunal des flagrants délires… des citations qui sont l’équivalent de friandises piquantes mais assurément originales. Si vous avez déjà écouté ce célèbre procureur, alors vous l’entendrez encore en lisant ces propos subversifs et réflexifs retraçant souvent sa vie et ses voyages gastronomiques. Sa patte se remarque très facilement : il suffit de lire ses coups de gueule, notamment sur la conception de la nourriture chez La Fontaine dans « Le Corbeau et le Renard » ou la misogynie omniprésente dans les restaurants pour s’en faire une idée.

La marginalité d’un journaliste accompagnée d’un sens de l’absurde aigu  : une belle recette pour revendiquer la richesse des sens humains

 « Le goût et l’odorat sont des sens dignes de toutes les estimes. En fait, je suis un sensuel qui a des activités cervicales. » Ce lapsus volontaire résume l’état d’esprit de Desproges. En effet, il faut se provoquer soi-même pour parvenir à des écrits comiques de qualité. Les digressions absurdes sont également les bienvenues car elles ajoutent de la folie et des informations loufoques en guise d’assaisonnements pour l’intrigue principale.

Chaque chronique peut déclencher le dégoût, la faim ou tout simplement la curiosité chez le lecteur. L’amour est un invité quelque fois convié dans ses écrits et cela révèle encore mieux l’habileté linguistique et poétique du procureur du Tribunal des flagrants délires. Associé à des dessins sulfureux, comme ceux Luz à propos de l’amour à table ou de Catherine sur une fable parodique, la vision de la vie de Desproges est faite de créativité et de plaisirs joyeux. La fiction  desprogienne permet, entre autres, des définitions ingénieuses et novatrices de l’histoire de l’asperge ou de la tomate. Son imagination corrosive et son style provocateur, populaire et brillant, sont donc les moyens les plus efficaces pour dénoncer ceux qui sont en désaccord total avec lui. Cela confirme que la cuisine est bien une création artistique pour l’écriveur : Jonathan Paxabouille, l’inventeur du pain à saucer, L’aquaphile, une femme qui sait calmer les ardeurs, et ses recettes de « Cheval-Melba » ou de « Pot-au-feu Marie-Croquette » sont des chroniques de bonne chère faites avec une maîtrise de la réplique reconnue de tous. Pourfendeur des sondages dans « La relève de l’indigence », Pierre Desproges explique que « le vin est un chef d’œuvre en péril » et qu’il est primordial de diffuser sa culture chez les jeunes dont il se moque cruellement et justement.

En somme, ce volume de chroniques culinaires est, à l’image des dessins de Charlie Hebdo, un pas de côté indispensable pour l’analyse des us et coutumes de la gastronomie française. À consommer sans modération.

Gwen T.

Les autres Couleurs de Stendhal

Stendhal est une figure éminente de la littérature française. Né à la fin du 18e siècle, il a marqué les esprits par des œuvres connues de tous : Le rouge et le noir (1830) ou encore La Chartreuse de Parme (1839). Néanmoins, l’un de ses textes, pourtant écrit dans la même période que ses deux œuvres principales, est très peu connu. C’est en pratiquant ma gymnastique de l’esprit quotidienne et en me jetant à bras ouverts sur le panthéon de la culture virtuelle, l’application « se coucher moins bête », ou comment posséder tout un pan de culture dans votre poche, qu’une révélation, digne d’un kaïros rousseauiste, m’est venue. « Stendhal est un écrivain connu pour avoir notamment écrit le fameux roman Le Rouge et le Noir. Mais il a aussi écrit Le Rose et le Vert sept ans plus tard. » Une punchline digne des plus grands cow-boys de l’ouest qui marqua mon esprit au fer rouge. Je me suis donc rendue à la librairie pour y découvrir un livre bref, élégant, et simple. Il aurait été l’homme idéal, le destin voulut qu’il fût fait de papier.

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L’histoire est celle d’une jeune bourgeoise allemande du 18e siècle qui, à la mort de son père, hérite de toute sa fortune, ce qui ne manque pas d’attirer les prétendants. Désireuse d’un amour sincère, dénué de toute avidité, Mina se retire à Paris et prétend, avec l’aide de sa mère, être ruinée.

L’histoire se termine rapidement et, à vrai dire, n’a pas de fin. Effectivement, l’auteur a consacré un mois à l’écriture de ce livre pour finalement le laisser en suspens, voire l’abandonner, pour écrire La Chartreuse de Parme. Certaines personnes voient une sorte de lien entre La Chartreuse de Parme et Le rose et le vert, notamment dans le titre puisque d’après une légende urbaine le mot « Chartreuse » représenterait le vert par sa couleur et « Parme » le rose par la couleur du jambon qui est une spécialité de la ville ; une légende totalement infondée. En réalité, l’auteur aurait choisi la ville de Parme pour sa platitude et son recul par rapport au contexte politique, et la chartreuse dont parle le livre n’est en réalité rien d’autre qu’un synonyme de maison de campagne (où le héros meurt). Néanmoins, Le rose et le vert constitue la part féminine dans une saga littéraire mettant au centre de l’histoire des jeunes hommes avec Julien Sorel pour Le rouge et le noir et Fabrice pour La Chartreuse de Parme, vivant des amours et des vies aussi imparfaites que tragiques.

Noémie Bounsavath

La Chute, Albert Camus

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Vous avez programmé de sortir ce soir pour boire un verre ? Terreaux ? Croix-Rousse ?… Pourquoi pas à Amsterdam, avec un personnage d’Albert Camus ?

Cela semble hautement improbable, pourtant c’est ce que vous ferez en ouvrant le livre La Chute, une de ses dernières œuvres. Vous plongerez tour à tour dans les nuits parisiennes et les nuits hollandaises.

La particularité de ce roman est qu’il est écrit à la première personne et qu’il s’adresse à un personnage tout juste rencontré. Ainsi, le lecteur est pris au piège dans une discussion qui commence avec lui. Ce personnage, nommé Jean-Baptiste Clamence, raconte sa vie de juge-pénitent à Paris, un homme qui a du succès, un homme satisfait de sa vie, plein d’indifférence et d’insouciance. Jusqu’au jour où, passant sur les quais de la Seine, il voit une femme, continue son pas, et entend une chute : la fille vient de tomber dans la Seine.

« Presque aussitôt, j’entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s’éteignit brusquement. Le silence qui suivit, dans la nuit soudain figée, me parut interminable. Je voulus courir et je ne bougeai pas. Je tremblais, je crois, de froid et de saisissement. Je me disais qu’il fallait faire vite et je sentais une faiblesse irrésistible envahir mon corps. J’ai oublié ce que j’ai pensé alors, « Trop tard, trop loin… » ou quelque chose de ce genre. J’écoutais toujours, immobile. Puis, à petits pas, sous la pluie, je m’éloignai. Je ne prévins personne. […] Quoi ? Cette femme ? Ah, je ne sais pas. Ni le lendemain, ni les jours qui suivirent, je n’ai lu les journaux. »

Cela démontre de la meilleure façon l’état d’esprit dans lequel Jean-Baptiste se trouve tout au long du livre ; son comportement pourrait rejoindre en cela celui de l’étranger. Or, dans ce livre on a deux dimensions : celle d’un personnage égoïste qui dénonce lui-même la société qui est la cause de son comportement ; les gens qui font des choix, s’engagent avec les autres sans passion juste pour ne pas s’ennuyer, la vie mensongère, les camps de concentration, la résistance, la bombe H. Le narrateur se décide à être le propre juge de l’humanité, et ce jusqu’à la transcendance. Même le choix du nom du narrateur n’est pas un hasard ; il renvoie  à la Bible, en homme seul prêchant dans le désert (clamans qui signifie d’ailleurs « crier » en latin, donc très littéralement « Jean-Baptiste criant »). D’où le juge regardant les traits communs de l’humanité, tout en se transformant en écrivant.

« J’exerce donc à Mexico-City, depuis quelque temps, mon utile profession. Elle consiste d’abord, vous en avez fait l’expérience, à pratiquer la confession publique aussi souvent que possible. Je m’accuse, en long et en large. Ce n’est pas difficile, j’ai maintenant de la mémoire. Mais attention, je ne m’accuse pas grossièrement, à grands coups sur la poitrine. Non, je navigue souplement, je multiplie les nuances, les digressions aussi, j’adapte enfin mon discours à l’auditeur, j’amène ce dernier à renchérir. Je mêle ce qui me concerne  et ce qui regarde les autres. Je prends les traits communs, les expériences que nous avons ensemble souffertes, les faiblesses que nous partageons, le bon ton, l’homme du jour enfin, tel qu’il sévit en moi et chez les autres. Avec cela, je fabrique un portrait qui est celui de tous et de personne. Un masque, en somme, assez semblable à ceux du carnaval, à la fois fidèles et simplifiés, et devant lesquels on se dit « Tiens, je l‘ai rencontré celui-là ! » Quand le portrait est terminé, comme ce soir, je le montre, plein de désolation : « Voilà, hélas ! ce que je suis. » Le réquisitoire est achevé. Mais, du même coup, le portrait que je tends à mes contemporains devient un miroir. ».

C’est ainsi qu’on observe philosophie et récit fictif se rejoindre, pour donner un humain avec toutes ses bassesses et toutes ses élévations.

Maria Chernenko

Les Voyages extraordinaires

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« Je vous plains alors, Monsieur Fogg, car l’isolement est une triste chose. Quoi ! Pas un cœur pour y verser vos peines. On dit cependant qu’à deux la misère elle-même est supportable encore ! » Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours.

Cette citation ne vous dit sans doute rien mais le titre de l’ouvrage ainsi que son auteur doivent sûrement vous dire quelque chose.

En effet, qui n’a jamais entendu parler de Jules Verne, cet écrivain français du 19è siècle connu pour ses romans d’aventures et de science-fiction. Avant de parler de ses œuvres et de leurs nombreuses adaptations cinématographiques, parlons un peu de ce grand homme.

Jules Verne

De son vrai nom Jules-Gabriel Verne, il est né en 1828 et est mort en 1905. Son premier roman, Cinq semaines en ballon, paraît en 1863 ; Verne débute ainsi sa collection des voyages extraordinaires qui se caractérise par des intrigues où aventures et rebondissements sont nombreux tout comme les descriptions techniques, géographiques et historiques. Ce premier roman connaît un si grand succès en France et à l’étranger que Verne travaillera pendant 40 ans sur les romans de cette collection. Les intrigues de ses romans se déroulent généralement durant la deuxième moitié du 19è siècle, elles sont toujours très documentées (Verne passe du temps sur ses recherches) et prennent en compte les technologies disponibles à l’époque de la narration. Verne est passionné par la science et cela se ressent dans ses œuvres car on peut découvrir certaines machines qui sont en avance sur leur temps comme le fameux Nautilus de Vingt mille lieues sous les mers ; cela donne un certain coté fantastique à ses œuvres.

L’œuvre de Jules Verne est populaire dans le monde entier, avec un total de 4 702 traductions, il vient au deuxième rang des auteurs les plus traduits en langue étrangère après Agatha Christie. Il est ainsi en 2011 l’auteur de langue française le plus traduit dans le monde. L’année 2005 a été déclarée « année Jules Verne », à l’occasion du centenaire de la mort de l’écrivain. Ce qui nous montre que l’œuvre d’un auteur peut perdurer longtemps après sa mort, Jules Verne en est un exemple parfait !

Ses œuvres et leurs adaptations

Les romans de Jules Verne sont beaucoup trop nombreux pour que l’on puisse parler de tous dans cet article (62 romans et 18 nouvelles), nous nous contenterons donc de présenter les plus connus, qui ont d’ailleurs eu droit à leur adaptation cinématographique plus ou moins récente.

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Commençons notre voyage au bord du Nautilus avec le capitaine Nemo. Vingt mille lieues sous les mers est paru en 1869 et permet l’exploration d’un endroit encore peu connu à l’époque : les fonds marins. En effet, dans ce roman que l’on peut présenter comme étant un roman initiatique, les héros pénètrent au cœur de l’inconnu à la recherche d’un prétendu monstre marin qui n’est autre que le vaisseau sous-marin plus connu sous le nom de Nautilus. Jules Verne s’appuie sur les connaissances scientifiques de son époque pour décrire au mieux le milieu marin dans lequel sont plongés ses personnages. Verne surprend par son imagination foisonnante et par l’anticipation technologique dont il fait preuve dans cette œuvre, notamment en imaginant la possibilité de descendre aussi profondément dans les mers et les océans avec ce sous-marin.

C’est en 1907 que ce roman connaît sa première adaptation cinématographique avec un film muet de Georges Méliès (Le Voyage dans la lune) et fut adaptés 6 autres fois par la suite. La plus connue de ces adaptations est cependant le film américain réalisé en 1954 par Richard Fleischer pour Walt Disney Production où l’on peut notamment voir Kirk Douglas dans le rôle de Ned Land et James Mason dans celui du capitaine Nemo.

Après avoir vogué sous la mer, partons en direction du centre de la Terre avec la prochaine œuvre de Jules Verne intitulé : Voyage au centre de la Terre. Ce roman d’aventures sorti en 1864 nous emmène à la découverte des profondeurs terrestres en compagnie du professeur Lidenbrock et de son neveu Axel. Ce roman mêle le scientifique à l’aventure et nous présente des sciences encore peu connues comme la paléontologie et la géologie.

Son adaptation cinéma la plus connue est sans doute celle de 2008 avec notamment en acteur principal Brendan Fraser (vu dans la Momie) et Josh Hutcherson (Hunger Games) qui raconte non pas le voyage de Lidenbrock et son neveu mais celui d’un professeur d’université et de son neveu Sean partis en quête de réponses sur la mort du père de ce dernier. Ils suivent néanmoins l’itinéraire emprunté par les personnages du livre. Ce film connait une suite en 2012 mais le centre de la Terre ayant déjà été visité lors du précédent film, c’est sur l’île mystérieuse que Sean ainsi que son beau-père Hank (alias Dwayne Johnson) atterrissent pour vivre l’une des plus folles aventures qu’ils aient jamais vécu.

Le fameux tour !

Nous finirons notre voyage au côté des personnages de Jules Vernes avec un petit tour du monde.

24329Le tour du Monde en 80 jours est publié en 1872 et, à l’inverse de l’ouvrage précédent où les événements se déroulent dans un endroit impossible, dans ce roman les personnages entreprennent un tour du monde qu’ils devront finir en 80 jours sous peine d’une sanction de la part du ministère des sciences d’Angleterre. Ce tour du monde est rendu possible par la révolution des transports qui marque au 19è siècle : la révolution industrielle, qui amène de nouveaux moyens tels que le bateau à vapeur et les chemins de fer. Cela raccourcit les distances ou plutôt le temps qu’il faut pour les parcourir. Ce voyage est effectué par Phileas Fogg accompagné de son valet chambre Passepartout.

Son adaptation cinématographique la plus célèbre est sans doute celle réalisée en 2004 avec dans le rôle de Passepartout le fameux Jackie Chan et Steeve Coogan dans celui de Phileas Fogg. Cette adaptation est bien sûr à visée comique mais reste tout de même fidèle à l’œuvre de Verne, même si on peut se douter que des combats d’arts martiaux seront au rendez-vous.

C’est ici que se termine notre voyage dans les œuvres de Jules Verne. En espérant que vous, lecteurs, serez curieux et irez voir ces films et chercherez ces autres adaptations quelques peu inattendues qui n’ont malheureusement pas pu être traitées ici !

Léonore Boissy

King Kong Théorie : itinéraire d’une féministe du XXIe siècle

A priori, il semble étrange de mêler un symbole du cinéma américain à un mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société. Virginie Despentes, auteure de cet essai controversé, explique cette référence à la créature du film King Kong de Peter Jackson de la manière suivante : « King Kong, ici, fonctionne comme la métaphore d’une sexualité d’avant la distinction des genres telle qu’imposée politiquement autour de la fin du XIXe siècle. King Kong est au-delà de la femelle et au-delà du mâle. Il est à la charnière, entre l’homme et l’animal, l’adulte et l’enfant, le bon et le méchant, le primitif et le civilisé, le blanc et le noir. Hybride, avant l’obligation du binaire. » Cela semble plus clair et Despentes nous bouscule et nous interroge : qu’est-ce que la féminité ? Pourquoi faut-il la contester et quel est son avenir ?

Un mélange de vécu et de réflexion détonant et provocant

Née en 1969, Virginie Despentes est une écrivaine et une réalisatrice célèbre, mais pas militante pour autant. Popularisée par son roman sulfureux Baise-moi en 1994, elle publie son essai en 2006, préférant l’écriture aux manifestations féministes. Éternelle amoureuse du punk rock, elle sait bousculer les stéréotypes établis avec un humour vorace, expliquant avec intelligence ses expériences physiques et intellectuelles pour le moins dérangeantes. Internée à 15 ans, violée à 17 ans, prostituée entre 22 et 24 ans, Virginie Despentes raconte, s’auto-critique, mais ne cherche en aucun cas à se plaindre. Elle est consciente des réflexes comportementaux que peuvent avoir les lecteurs : cet essai tend à raconter pour la première fois comment elle est devenue Virginie Despentes. On est en face d’une combattante, d’une intellectuelle qui veut briser les tabous, les discours bien-pensants sur la sexualité féminine et la définition du féminin.

La force de ce récit autobiographique réside aussi dans son rythme : on passe très bien de ses interrogations sur l’intérêt de la légalisation de la prostitution à son vécu étonnamment positif de la prostitution. On s’immerge dans l’Histoire avec l’interdiction de la pornographie sur grand écran sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing dans les années 1970 pour parvenir au scandale de l’adaptation de Baise-moi en 2000 avec aisance et fluidité. Les mots de Despentes dérangent mais ils sont compréhensibles et le rire n’est jamais très loin : ses pensées sarcastiques, choquantes et crues sont justes, rationnelles et efficaces pour rendre compte des difficultés d’être une femme mais, aussi, d’être un homme. Despentes veut encourager le lecteur à faire une meilleure remise en cause des rapports homme/femme.

Un éloge aux intellectuelles féministes, celles qui ont façonné l’écrivain Virginie Despentes

« Je ne suis pas en train d’affirmer que dans n’importe quelles conditions et pour n’importe quelle femme ce type de travail est anodin. Mais le monde économique étant ce qu’il est, c’est-à-dire une guerre froide et impitoyable, interdire l’exercice de la prostitution dans un cadre légal adéquat, c’est interdire spécifiquement à la classe féminine de s’enrichir, de tirer profit de sa propre stigmatisation. » La raison de cette impression positive de la prostitution est, selon elle, due à ses nombreuses lectures de féministes américaines pro-sexe telles que Norma Jane Almodovar ou Carol Queen, des ouvrages non traduits en France et donc mal diffusés selon elle. King Kong Théorie revendique la nécessité de diffuser davantage leurs écrits, l’anticapitalisme est un fil directeur pour parler de viol, de prostitution ou de pornographie. Les paroles sont enragées et en même temps le fruit de cinquante lectures, allant de Simone de Beauvoir à Angela Davis, en passant par Virginia Woolf et Mary Wollstonecraft. Chaque chapitre est annoncé par une citation, source d’arguments mais aussi élément déclencheur de souvenirs personnels prêts à questionner davantage la féminité, et par conséquence la masculinité.

Lutter contre l’obscurantisme et le conformisme semble donc l’ultime but de cet ouvrage : penser la femme doit se faire en pensant l’homme. Ce qui les fait et ce qui les défait sur le plan social, politique et personnel doivent être analysés ensemble. Despentes veut libérer les femmes de la violence du contrôle exercé sur elles et les hommes de la « virilité traditionnelle » qui est « une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité ». Le néo-féminisme érigé par King Kong Théorie s’adresse bien aux hommes autant qu’aux femmes et, par la force de son style et de sa personnalité, le défi que représente la réflexion sur la féminité et la masculinité s’avère moins impressionnant et davantage passionnant.

Gwen T.