Prélude de l’engouement pour la musique
La musique classique. Un art tout particulier qui ne se fait pas apprécier de tous. Il est dit que lorsque l’on écoute un opéra pour la première fois, deux attitudes se révèlent : soit l’on perçoit la beauté et l’énergie que le classique dégage soit on reste de marbre. Dans le deuxième cas, la meilleure chose à faire serait alors d’écouter d’autant plus de musique classique pour apprendre à l’apprécier.
Mais qu’il est alors frustrant d’être dans cette position. Souhaiter apprécier quelque chose – et quelle chose ! – sans y parvenir. Quand nous apprenons, qu’au-delà même de sa beauté, cette musique aide à la mémorisation et à la concentration… On se dit qu’une bonne cure de Mozart ne serait pas de trop ! C’est alors qu’intervient Eric-Emmanuel Schmitt. Auteur contemporain, qui inscrit son ouvrage Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent dans ce qu’il nomme « le bruit qui pense ». Ce titre lui vient d’une citation de Victor Hugo « la musique, c’est du bruit qui pense », à quoi il ajoute que c’est aussi « du bruit qui fait penser ». Ce cycle d’ouvrages inclut de grands musiciens qu’il définit comme étant ses guides spirituels tels que dans son premier livre, le compositeur Mozart (Ma vie avec Mozart) puis viendront alors Bach et Schubert.
Rassurez-vous, la musique classique n’appartient pas aux élites. Que vous ayez envie de l’aimer, de réapprendre à l’aimer, ou si vous êtes simplement curieux de savoir comment la musique peut être écrite, parcourez ce récit autobiographique – reprise dans une pièce en comédie-monologue – sur la recherche de l’éloignement ressenti par l’auteur avec Beethoven. Beethoven qu’il eut tant aimé durant son adolescence.
Le compositeur maudit
« – Savais-tu que Ludwig van Beethoven était tellement sourd qu’il a cru toute sa vie qu’il faisait de la peinture ?
– Et toi t’es tellement con que tu as cru toute ta vie que tu étais intelligent. »
Kiki van Beethoven
Tout le monde a eu écho de l’histoire de Ludwig van Beethoven. Ce compositeur issu d’une famille musicienne, qui, avant même d’avoir 30 ans est atteint d’une maladie qui lui fait perdre l’ouïe. Un désastre pour ce prodige ! Mais au lieu de se résigner, il en vient à fabriquer des sons qu’il a perçus autrefois.
Pour ce qui est de l’amour, Schmitt nous confie que Beethoven ne voulait pas imposer son handicap à une relation, et y renonce pour cette raison. Des spécialistes insistent plutôt sur son tempérament tempétueux (que Schmitt met en avant lors de ses disputes avec le compositeur). La Lettre à l’immortelle Bien-aimée, mise en relation avec sa Sonate n°24 dédiée à la dite « Thérèse » est la description même de l’amour selon le compositeur.
Humanisme, héroïsme, optimisme
« La musique intervient dans notre vie spirituelle. Des compositeurs comme Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin ou Debussy ne se réduisent pas à des fournisseurs de sons : ils sont aussi des fournisseurs de sens. Certes, ils n’utilisent pas des concepts comme Planton ou Kant ; plus vigoureux encore, ils nous atteignent ailleurs, à la racine, en dessous des raisonnements et des calculs, là où l’esprit palpite, respire, ressent. Car l’entendement auquel se limitent les purs rationalistes ne forment qu’une des couches du cerveau, pas la plus superficielle, mais pas la plus constructive. Sous les idées, les théories, les hypothèses, il y a quelque chose de mouvant qui soutient et porte le reste : les sentiments. »
Tout au long de cet ouvrage, Schmitt nous donne à voir une proximité avec Beethoven ; un premier pas pour nous rapprocher du musicien. Bien que celui-ci ne soit qu’un homme, nous pouvons le voir comme quelqu’un d’autre, supérieur de par ses exploits. Mais « Beethov », comme Schmitt aime l’appeler lors de ses entrevues avec des journalistes, est représenté comme ce qu’il est réellement : un homme. Un homme qui peut avoir des scènes de ménages avec son auteur. Ces querelles s’expliquent par la compétition que le musicien entretient avec Mozart. Selon Schmitt, « Bach, c’est la musique que Dieu écrit. Mozart, c’est la musique que Dieu écoute. Beethoven, c’est la musique qui convainc Dieu de prendre congé car il constate que l’homme envahit désormais la place. »
En prime du livre l’auteur nous offre naturellement un CD audio de certaines œuvres de Beethov’ afin de s’imprégner de sa musique et de pouvoir comprendre et entendre le texte. Mêler écriture et musique nous fait ressentir alors une explosion de sensations.
Kiki van Beethoven, de la fiction à l’essai
Quand je pense que Beethoven en mort alors que tant de crétins vivent a été écrit à la suite de Kiki van Beethoven. Ce dernier étant la courte fiction qui reprend les développements de l’essai. C’est l’histoire de Christine une femme d’une soixantaine d’années qui, après être tombée sur le masque de Beethoven dans une brocante, décide de retrouver son ancien engouement pour ce musicien qu’elle avait perdu avec le temps. Elle réapprend à aimer la vie et propage cet amour auprès de ses amies. Beethoven dans toute sa splendeur. Il remet au goût du jour ses sentiments enfouis et les émotions refoulées refont surface.
« Si l’on veut mener une vie ordinaire, mieux vaut se tenir à l’écart de la beauté ; sinon, par contraste, on aperçoit sa médiocrité, on mesure su nullité. Écouter Beethoven, c’est chausser les sandales d’un génie et se rendre compte qu’on n’a pas la même pointure. »
Le problème qui se pose avec ce prodige réside dans le contraste entre le message qu’il propage et nos vies. Bien sûr l’optimisme est et restera le fil conducteur de Beethov, mais, la difficulté intervient à partir du moment où l’on voit ce qu’il a pu produire durant son existence. Cela effraie, car nous ne pensons pas être capables de faire de même. Là se trouve toute la magie du compositeur, l’idée qu’il véhicule n’est pas d’être extraordinaire mais de rendre notre existence comme telle.
Le classique à travers le temps
La musique classique se traduit aujourd’hui comme une musique réservée aux élites, mais elle inspire pourtant de nombreux styles musicaux tels que l’électro. Eh oui ! On ne peut rejeter le classique, car conscient ou non, il est bien et bien présent dans la musique que nous écoutons.
Tous les styles musicaux évoluent avec le temps. N’oublions pas que pour créer de nouveaux styles, les compositeurs se basent sur ceux déjà existants. Lavoisier nous dira « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme » (maxime empruntée en fait à Anaxagore, philosophe du Vle siècle avant J.-C.) et cette loi de conservation de la matière illustre parfaitement ce qui est à l’œuvre dans la musique.
Les grands compositeurs classiques ont été source d’inspiration pour le rock’n’roll. Il a été mêlé à de nombreux styles : la musique galloise, indienne, le blues, le rock noir américain, etc. The Beatles, Elvis Presley, Buddy Holly, Chuck Berry, Eddie Cochran, tout ce beau monde a pris ses racines dans le classique. Impensable et pourtant vrai. Plus précisément, le célèbre groupe britrock Oasis a basé ses enchaînements d’accords, ses marches harmoniques ou encore son système tonal sur les traditions classiques.
Alors non, nous ne sommes pas amenés à avoir une prise de conscience classico-musicale à la fin de cet ouvrage, mais nous ressentons l’énergie que le musicien dégage à travers son art. Cet optimiste nous aide à relativiser et à travailler dur dans nos vies et sans oublier que nous pouvons avoir des obstacles, mais ce sont ces derniers qui nous permettent de nous surpasser. Nous avons finalement la réponse implicite qui explique l’éloignement de Schmitt envers Beethoven, « les amants se séparent toujours pour les raisons qui les ont d’abord réunis ». Mais s’éloigner ne veut en aucun cas dire se séparer et ce que l’on croit avoir perdu peut refaire surface lorsque l’on s’y attend le moins.
Perrine Blasselle